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L’indemnisation du dommage futur par l’assureur RC décennale implique que le désordre soit constitué dans toute son ampleur avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie légale

A propos de : Cass, 3ème civ, 28 février 2018, n° 17-12460 et Cass, 3ème civ, 15 mars 2018, n° 17-12751

Par deux arrêts rendus les 28 février 2018 et 15 mars 2018, la Cour de cassation a encore rappelé sa position concernant l’indemnisation du désordre futur par l’assureur RC décennale, en ce sens qu’il n’est pas seulement exigé la démonstration du caractère certain de la survenance du désordre, mais également sa survenue avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie légale.

La position de la Cour de cassation n’a pas toujours été aussi restrictive, lorsqu’elle considérait que l’assureur RC décennale pouvait être recherché, dès lors que la réparation des désordres avait été demandée au cours de la période de garantie (Cass, 3ème civ, 6 mai 1998, n° 96-18298).

Il suffisait alors de justifier du caractère certain de la survenance du désordre dans le futur, même au-delà du délai d’épreuve de la garantie décennale, pour obtenir la responsabilité du locateur d’ouvrage et le bénéfice de la garantie de son assureur.

Commentant un arrêt rendu en ce sens le 16 mai 2011 (Cass, 3ème civ, 16 mai 2011, n° 99-15062 – Garantie décennale et désordres futurs au Dalloz 2001), Jean-Pierre KARILA avait alors été amené à définir le dommage futur comme étant « un désordre dénoncé judiciairement dans le délai de la garantie décennale, ne revêtant pas alors les caractéristiques de gravité de ceux relevant d’une telle garantie, mais dont on sait de façon certaine que, dans l’avenir, il présentera de telles caractéristiques. »

Les décisions rendues faisaient alors le plus souvent référence au caractère certain d’un désordre de nature décennale « à court terme » ou « dans un avenir prévisible. »

Cette position n’était pas sans susciter une interrogation, dès lors que le délai de dix ans de l’article 1792 du Code civil s’impose dans l’esprit de la loi comme étant le délai d’action du maître de l’ouvrage, sanctionné par la forclusion.

Dès lors que le désordre né et actuel devait donner lieu à une action dans le délai de la garantie décennale pour être indemnisé, il était alors permis de s’interroger sur la recevabilité d’une action indemnitaire lorsque le dommage n’était révélé dans toute son ampleur que postérieurement à l’expiration du délai d’épreuve.

En cohérence avec l’esprit de la loi, la Cour de cassation n’a pas tardé à réviser sa jurisprudence, afin d’exiger que la preuve soit également rapportée du caractère certain de l’apparition du dommage de nature décennale avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie légale.

C’est ainsi que, dans un arrêt en date du 12 septembre 2012 (Cass, 3ème civ, 12 septembre 2012, n° 11-16943), la Cour de cassation devait indiquer que : « L’entrepreneur qui, lors de la construction de la maison, procède à l’excavation des terres sans tenir compte des contraintes techniques inhérentes au site et dont les travaux ont aggravé la pente pré existante du talus situé à l’arrière de la propriété et créé un risque certain d’éboulement dans le délai de la garantie décennale, mettant en péril la solidité du bâtiment et la sécurité des occupants et rendant impossible l’utilisation de l’arrière de la maison, doit supporter la charge des travaux permettant de remédier à la situation et indemniser les maîtres de l’ouvrage du préjudice résultant de la restriction de jouissance de l’habitation. »

Dans un arrêt rendu le 23 octobre 2013 (Cass, 3ème civ, 23 octobre 2013, n° 12-24201), la Cour de cassation indiquant encore : « Qu’en statuant ainsi, tout en relevant qu’il ne pouvait être précisé que la perte de l’ouvrage interviendrait dans le délai décennal, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »

Après avoir confirmé sa position dans un arrêt du 16 avril 2013 (Cass, 3ème civ, 16 avril 2013, n° 12-17449) et par deux arrêts rendus en 2014 (Cass, 3ème civ, 12 novembre 2014, n° 13-11886 et Cass, 3ème civ, 24 septembre 2014, n° 13-20912), puis plus récemment en cassant un arrêt de la cour d’appel d’Angers, dans une décision en date du 18 mai 2017 (Cass, 3ème civ, 18 mai 2017, n° 16-16006), réitérant ainsi que la perte de l’ouvrage doit nécessairement intervenir avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, la Cour de cassation confirme dans ses arrêts du 28 février 2018 et 15 mars 2018 une analyse plus rigoureuse et conforme à l’esprit de la loi.

Pour autant, il est à regretter que position ne soit encore partagée par la jurisprudence administrative, dès lors que le Conseil d’Etat persiste à indemniser sur le fondement du désordre futur des dommages survenus dans toute leur ampleur postérieurement à l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, dès lors que l’action en réparation a été engagée avant le délai de forclusion (Conseil d’Etat, 31 mai 2010, requête n° 31-7006, commune de Pares).

Cette divergence de position entre les deux plus hautes juridictions s’avère extrêmement préjudiciable, tout particulièrement dans le cadre de l’exercice des recours en garantie devant les juridictions judiciaires à l’initiative du locateur d’ouvrage condamné devant la juridiction administrative à indemniser le maître d’ouvrage public.

  • Cass, 3ème civ, 28 février 2018, n° 17-12460 :

« Attendu que, pour condamner la société AXA France IARD à payer à M. X et Mme Y la somme de 8.000 €, l’arrêt retient que la circonstance que l’expert a affirmé la certitude de la survenance à court terme, d’un désordre est suffisante à engager la responsabilité décennale du constructeur et la mobilisation de la garantie de son assureur, dès lors que ce dommage, futur, ne peut être considéré comme hypothétique et qu’il a été identifié, dans ses causes, dans le délai décennal d’épreuve, même s’il ne s’est pas réalisé pendant celui-ci. »

« Qu’en statuant ainsi, tout en constatant qu’à la date de la réunion d’expertise du 3 octobre 2011, il n’existait pas de désordre, l’écoulement des eaux dans les réseaux étant satisfaisant, qu’au jour du dépôt du rapport d’expertise, il n’apparaissait aucun désordre et que l’expert judiciaire n’avait caractérisé aucun dommage existant, au sens de l’article 1792 du Code civil, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »

  • Cass, 3ème civ, 15 mars 2018, n° 17-12751 :

« Mais attendu qu’ayant relevé que la demande du maître de l’ouvrage était fondée sur une expertise amiable non contradictoire établie le 8 octobre 2012, soit au-delà du délai d’épreuve décennal, et que l’expert judiciaire n’avait constaté dans ce délai aucun désordre d’affaissement important des jardins pour les villas numéros 31, 35 et 39 et avait écarté un premier devis nettement supérieur au seul montant des travaux de reprise utiles des villas portant les numéros 33 et 34, la cour d’appel qui, sans violer le principe de la contradiction, a déduit de ces seuls motifs qu’une indemnisation complémentaire n’était pas justifiée, a légalement justifié sa décision. »

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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