Cass, 3ème civ, 2 mai 2024, n°22-20.477
À l’inverse des contrats de construction de maisons individuelles, pour lesquels les articles l 231-2 alinéa 1er et R 231-14 alinéa 1er du code de la construction et de l’habitation prévoient une sanction légale en cas de retard de livraison, sous la forme d’une pénalité qui ne peut être inférieure à un 1/3000ème du montant du contrat par jour calendaire de retard, rien de tel n’a été prévu par le législateur s’agissant des contrats de vente en l’état futur d’achèvement (VEFA).
Si la mention du délai de livraison dans l’acte de réservation n’est pas une obligation légale, en application des articles R 261-25 et R 261-26 du code de la construction et de l’habitation, il en va différemment de l’acte authentique de vente qui doit le préciser expressément en application de l’article L 261-11.
A cet égard, la jurisprudence considère qu’en présence d’une date de livraison différente figurant dans le contrat de réservation, le vendeur constructeur n’est contractuellement tenu que par la date figurant dans l’acte authentique de vente (Cass, 3ème civ, 12 octobre 2022, n°21-20.804).
Il reste que la jurisprudence permet au vendeur constructeur de prévoir dans l’acte de vente en l’état futur d’achèvement une clause lui permettant de différer la date de livraison contractuellement prévue d’une durée égale au double de celle initialement convenue dans l’acte, sans possibilité d’indemnisation pour l’acquéreur.
La cour de cassation a ainsi régulièrement confirmé la validité de la clause relative à des causes de prorogation du délai de livraison en cas de grève, d’intempérie, ou bien encore de la défaillance d’une entreprise, au regard de l’avis n°16.01 qui a été rendu à ce sujet le 29 septembre 2016 par la commission des clauses abusives (Cass, 3ème civ, 24 octobre 2012, n°11-17.800 ; Cass, 3ème civ, 23 mai 2019, n°18-14.212).
Il est alors considéré par la jurisprudence que la clause n’est pas abusive, dès lors qu’elle n’a pas pour objet, ni pour effet, de créer au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat.
Si la marge de manœuvre pour l’acquéreur en VEFA est de toute évidence étroite pour contester l’opposabilité de la clause relative à la prorogation du délai de livraison, quelques observations s’imposent néanmoins.
En premier lieu, les différentes décisions qui ont été rendues au sujet de la validité de la clause de prorogation du délai de livraison, ne doivent pas faire oublier que le juge se doit d’exercer, lorsque cela lui est demandé, et au cas par cas, un contrôle de proportionnalité entre les droits et les obligations des parties au contrat de vente.
Il s’agit d’une appréciation souveraine des juges du fond dont l’exercice est contrôlé par la cour de cassation, l’article 1171 alinéa 1er du code civil disposant à cet égard que, dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable et déterminée à l’avance par l’une des parties qui créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
Or, l’exercice du contrôle de proportionnalité par le juge n’est rendu possible qu’en présence d’une clause dont le libellé n’est pas susceptible d’interprétation.
Il en résulte que les circonstances susceptibles de justifier le différé de la livraison doivent être limitativement énumérées dans l’acte de vente.
A cet égard, si l’article L 231-3-d) du code de la construction et de l’habitation, relatif aux contrats de construction de maisons individuelles, dispose que sont réputées non écrites les clauses prévoyant des causes de retard de livraison autre que les intempéries, les cas de force majeure ou les cas fortuits, il en va différemment en matière de VEFA, la jurisprudence considérant notamment que la défaillance d’une entreprise sur le chantier est de nature à constituer une « cause légitime ».
En second lieu, pour ne pas être qualifiée d’abusive, la clause relative à des causes de prorogation du délai de livraison doit impérativement indiquer, de façon suffisamment précise, les justificatifs de retard qui devront être produits à l’acquéreur.
A cet égard, le vendeur constructeur ne pouvant se constituer de preuves à lui-même, il se doit nécessairement de justifier des causes du retard de livraison par la production de justificatifs émanant de tiers (attestation du maître d’œuvre d’exécution, relevés météo, publication au BODACC de la liquidation judiciaire d’une entreprise…) – (Cour d’appel de Bordeaux, 4 juillet 2024, n°21/03383).
C’est ce qui est tout précisément rappelé par l’arrêt du 30 avril 2025 (Cass, 3ème civ, 30 avril 2025, n°23-21.499) :
« La cour d’appel a relevé, d’une part, que le contrat de vente en l’état futur d’achèvement prévoyait que le délai de livraison était convenu sous réserve de survenance d’un cas de force majeure ou d’une cause légitime de suspension de délai, telle que les intempéries, d’autre part, procédant à la recherche prétendument omise, que l’architecte, qui avait produit des attestations basées sur des données météorologiques publiques, vérifiables et contestables par les acquéreurs, était un professionnel qualifié, tiers au contrat. »
« Elle en a exactement déduit que cette clause, qui n’avait ni pour objet, ni pour effet, de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, n’était pas abusive. »
Cet arrêt est parfaitement conforme à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux le 4 juillet 2024 (n°21/03383).
Il est donc nécessaire de procéder à une lecture attentive des actes de vente en l’état futur d’achèvement, dès lors que la qualité rédactionnelle de la clause de prorogation du délai de livraison peut avoir des conséquences déterminantes sur son opposabilité à l’acquéreur.
De la même façon, qu’il convient de s’attacher à vérifier, en tout état de cause, la nature des justificatifs produits par le vendeur constructeur pour justifier des motifs du retard allégué et de l’application de la clause de prorogation du délai de livraison.
En troisième lieu, les circonstances légitimes qui sont énoncées dans l’acte de vente ne peuvent pas être interprétées de façon extensive, sauf à caractériser de fait un déséquilibre significatif au préjudice de l’acquéreur en VEFA.
C’est ainsi que dans un arrêt en date du 9 juin 2022, la Cour d’appel de Bordeaux a condamné un vendeur constructeur à indemniser l’acquéreur du préjudice occasionné par le retard de livraison, en écartant l’application de la clause, au motif que « le simple retard fut il prolongé, ne peut-être assimilé à la défaillance de l’entreprise que si celui-ci a entrainé la nécessité pour le vendeur de résilier le marché confié à cette entreprise et de rechercher une entreprise de substitution après mise en demeure de l’entreprise concernée de terminer ses travaux. » (Cour d’appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 9 juin 2022, n°19/00979).
Il en résulte donc que la circonstance contractuellement prévue de « défaillance de l’entreprise » doit nécessairement s’entendre comme étant une véritable défaillance ayant justifié la résiliation du marché de travaux, ou bien encore résultant d’une mise en liquidation judiciaire.
A défaut, le retard de l’entreprise dans la réalisation des travaux qui lui ont été confiés ne peut constituer une cause légitime de différé du délai de livraison.
De la même qu’il ne saurait être question pour le constructeur vendeur de se prévaloir de la clause de différé de livraison du fait des intempéries, ce qui est au-demeurant expressément prévu par l’article L 121-20-3 du code de la consommation, alors que les retards ne concernent que des travaux intérieurs, le bâtiment étant hors d’eau et hors d’air.