Cass, 3ème civ, 26 juin 2025, n°23-18.306, Publié au bulletin
La garantie décennale institue une présomption de responsabilité pesant sur le constructeur pendant une durée de dix années à compter de la réception des travaux, s’agissant des désordres qui le rendent impropre à sa destination ou qui compromettent sa solidité au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Le principe veut que les conditions requises soient constatées avant l’expiration du délai d’épreuve pour être pris en charge au titre de la garantie RC décennale de l’assureur (Cass, 3ème civ, 16 avril 2013, n°12-17.449 ; Cas, 3ème civ, 21 septembre 2022, n°21-15.455).
Il s’agit là d’un principe absolument constant.
La jurisprudence a toutefois été amenée à considérer, sous la définition de « dommage futur », que la prise en charge du désordre pouvait être acquise quand bien même il ne répondait pas aux conditions requises à la date de sa dénonciation ou du jugement, dès lors qu’il était établi que, de façon certaine, il présenterait la gravité exigée par l’article 1792 du code civil avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale (Cass, 3ème civ, 29 janvier 2003, n°01-13.034).
Il en résulte à contrario que le « caractère inéluctable » d’infiltrations retenu par un expert judiciaire ne peut suffire à caractériser un désordre futur (Cass, 3ème civ, 21 septembre 2021, n°21-15.455).
De la même façon, doit être cassé l’arrêt qui condamne un assureur au titre de sa garantie RC décennale, au motif que les désordres allaient entraîner à court terme, dans un avenir prévisible, une impropriété de l’ouvrage à sa destination, sans avoir constaté que l’atteinte à la destination ou à la solidité de l’ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai d’épreuve de la garantie décennale (Cass, 3ème civ, 31 mars 2005, n°03-15.766).
La jurisprudence a déjà considéré que l’analyse n’avait pas lieu d’être différente lorsqu’il existait un risque de perte de l’ouvrage, notamment du fait d’un risque d’effondrement, qui doit être réalisé dans le délai d’épreuve de la garantie.
A ainsi été cassé l’arrêt qui avait considéré que le risque d’effondrement devait concrètement s’analyser en un risque de perte de l’ouvrage, pour être la conséquence d’un défaut de conformité aux règles de l’art portant sur les fondations, de sorte que l’atteinte à la solidité de l’ouvrage, qui s’était matériellement réalisée postérieurement à la réception des travaux, devait être pris en charge au titre de la garantie RC décennale :
« Qu’en statuant ainsi, tout en relevant qu’il ne pouvait être précisé que la perte de l’ouvrage interviendrait dans le délai décennal, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé le texte susvisé. »
A cet égard, la jurisprudence a pu considérer qu’en raison de leur dangerosité intrinsèque, certains désordres, non encore réalisés, pouvaient relever de la garantie décennale sans avoir à satisfaire à la définition du désordre futur (Cass, 3ème civ, 7 octobre 2009, n°08-17.620 ; Cass, 3ème civ, 11 mai 2011, n°10-11.713) :
« Qu’en statuant ainsi, tout en retenant que les défauts de conformité à la norme parasismique étaient de nature décennale dès lors qu’ils étaient multiples, qu’ils portaient sur des éléments essentiels de la construction, qu’ils pouvaient avoir pour conséquence la perte de l’ouvrage, le risque de secousses sismiques n’étant pas chimérique dans la région où se trouve la construction, classée en zone de risque 1b, et qu’ils faisaient courir un danger important sur les personnes, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »
La cour de cassation a pu ainsi retenir l’application immédiate de la garantie décennale, malgré l’absence de désordre actuel, en cas de risque d’atteinte à la sécurité des personnes du fait de la possibilité de chutes de plaques de faux plafonds (Cass, 3ème civ, 14 septembre 2023, n°22-12.989 avec une jurisprudence contraire : Cass, 3ème civ, 11 mai 2022, n°21-15.608), d’odeurs nauséabondes (Cass, 3ème civ, 11 mai 2022, n°21-15.608) ou de risques sanitaires (Cass, 3ème civ, 14 septembre 2023, n°22-13.858, Publié au bulletin).
Elle a également validé, non sans critique cette fois ci, mais à une autre époque, l’application de la garantie décennale en cas de risque d’incendie lié à la défaillance de panneaux photovoltaïques (Cass, 3ème civ, 21 septembre 2022, n°21-20.433),
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt qui a été rendu par la cour de cassation le 26 juin 2025 (Cass, 3ème civ, 26 juin 2025, 23-18.306).
Dans cette affaire, une société civile immobilière avait fait construire un local commercial et industriel destiné à être loué dès après son achèvement.
Postérieurement à la réception des ouvrages, le maître de l’ouvrage avait sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire du fait de la non-conformité du réseau d’eaux pluviales, avec un risque avéré d’inondation pouvant justifier une demande de démolition de l’immeuble par les autorités publiques, l’absence d’alimentation électrique de secours du relevage des eaux pouvant entraîner son arrêt et une élévation de l’eau sur le parking étant susceptible de pénétrer dans l’immeuble.
A la suite du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, le maître de l’ouvrage a engagé une procédure au fond, afin de solliciter l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, au motif que le risque de demande de démolition de l’ouvrage par l’autorité administrative constituait un dommage actuel rendant d’ores et déjà l’immeuble impropre à sa destination au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Par un arrêt en date du 9 mai 2023, la cour d’appel de Pau a débouté le maître de l’ouvrage de ses demandes, au motif que l’expert judiciaire avait uniquement fait état d’un risque d’inondation et d’un risque de demande de démolition et de réfection de la part des autorités publiques, alors qu’au désordre n’avait été constaté dans le délai d’épreuve de la garantie décennale.
Par son arrêt en date du 26 juin 2025 (Cass, 3ème civ, 26 juin 2025, n°23-18.306), la cour de cassation a rejeté le pourvoi, au motif que :
« La cour d’appel, qui a relevé que la SCI ne démontrait pas avoir subi des inondations avant l’expiration du délai d’épreuve ni fait l’objet d’une injonction de l’administration aux fins de démolition ou de mise en conformité, a pu en déduire que le risque d’inondation mentionné au rapport d’expertise judiciaire ne constituait pas un dommage relevant de la garantie décennale. »
En définitive, bien que publié, cet arrêt apparait tout à fait conforme à l’orthodoxie de la jurisprudence de la cour de cassation.
En l’espèce, le risque de désordre qui était allégué ne consistait pas en un risque établir d’effondrement de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, mais en un risque d’inondation et de demande administrative de démolition en raison de non-conformités objectivées.
La situation est donc tout à fait différente et, par cette décision publiée, la cour de cassation entend de toute évidence rappeler que les exceptions qui sont susceptibles d’être apportées à la notion de désordre futur ne peuvent que s’entendre restrictivement, sauf à en dénaturer le sens et la portée.
Il convient en effet de rappeler que si le délai décennal visé à l’article 1792 du code civil est un délai d’action, il est également et peut-être surtout un délai d’épreuve, raison pour laquelle le législateur a tenu en définitive à uniformiser les délais de recours du maître de l’ouvrage à l’égard des différents intervenants à l’acte de construire.