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Révision d’un contrat d’exploitation d’une installation collective de chauffage sur le fondement de l’imprévision  

  • La théorie de l’imprévision est une notion issue du droit des obligations qui implique qu’un contrat en cours d’exécution, et ayant force de loi entre les parties, puisse être renégocié dès lors que des changements de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rendent son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque. 

L’article 1195 du Code civil dispose ainsi très précisément que : « si un changement de circonstances prévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exercer ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». 

Il s’agit d’une disposition issue de la réforme du droit des contrats par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, qui ouvre une brèche à la force obligatoire du contrat qui résultait des dispositions de l’ancien article 1134 du Code civil, et sous l’empire duquel la jurisprudence interdisait au juge judiciaire de modifier la convention des parties en raison d’un changement de circonstances.  

D’ailleurs, la jurisprudence refuse de faire application de l’esprit de l’article 1195 du Code civil aux contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, considérant ainsi qu’il n’y a pas lieu de juger les circonstances passées à la lumière du droit nouveau (Cass, 3ème civ, 6 décembre 2018, n° 17-23.321 ; 17-21.170 ; 17-21.171). 

  • C’est précisément sur le fondement des dispositions de l’article 1195 du code civil que, par un jugement définitif en date du 6 février 2023, le tribunal judiciaire d’Angers (Tribunal judiciaire d’Angers, 1ère chambre, 6 février 2023, SAS M… / SDC Résidence les P…, RG : 22/02161) a prononcé avec effet différé la résiliation d’un contrat d’exploitation des installations de chauffage d’une copropriété qui avait été conclu entre un prestataire de services et le Syndicat des copropriétaires. 
  • LES FAITS : 

Dans le courant de l’année 2019, la société M… a conclu avec le Syndicat des copropriétaires Résidence les P… un contrat d’exploitation des installations de chauffage de la copropriété, pour une durée de 5 ans, comprenant les prestations suivantes : 

  • L’approvisionnement et la fourniture de combustible avec garantie de résultat (P1), 
  • La conduite, l’entretien courant et les dépannages des installations thermiques, d’eau chaude sanitaire et de traitement d’eau (P2), 
  • Le maintien en état de fonctionnement, le gros entretien et le renouvellement à l’identique ou à fonction identique de tous les matériels déficients de façon à maintenir l’installation dans un bon état de marche continu (P3). 

Le contrat qui ne comportait aucune clause de révision applicable en cas de changement de circonstances modifiant son équilibre, c’est avéré totalement inadapté à partir de l’automne 2021 du fait de l’augmentation très importante du prix du gaz livré par les propres fournisseurs de la société M…, ce qui n’a fait que s’aggraver ultérieurement du fait du conflit armé en Ukraine. 

De fait, la société M… en était réduite à vendre à perte le gaz fourni au Syndicat des copropriétaires. 

C’est dans ces circonstances que, tout en poursuivant l’exécution de son contrat en dépit des pertes qu’elle subissait, la société M… a sollicité du Syndicat des copropriétaires une renégociation du contrat, et plus exactement du poste P1, du fait de l’augmentation du prix du gaz, et non les postes P2 et P3 pour lesquels aucun changement circonstances imprévisible n’était invoqué.  

Le Syndicat des copropriétaires, assisté d’un conseil, a opposé une fin de non-recevoir, estimant que les conditions posées par l’article 1195 du Code civil n’étaient pas réunies en l’espèce, en raison du fait que la société M… avait pris le risque de s’approvisionner en gaz sur le marché à coût variable, pour le revendre à prix fixe d’une part, et qu’elle est en mesure d’anticiper une augmentation du prix du gaz dans le cadre d’un marché qui n’était plus réglementé. 

Enfin, il était opposé par le Syndicat des copropriétaires que les pertes financières ne devaient pas s’apprécier à l’échelle de l’agence locale du prestataire de service, mais à l’échelle d’une entreprise d’envergure nationale.  

Faute d’avoir pu trouver un accord amiable, la société M… a été autorisé à assigner à jour fixe le Syndicat des copropriétaires devant le tribunal judiciaire d’Angers en résiliation du contrat d’exploitation des installations de chauffage. 

  • LE DROIT : 

En premier lieu, le tribunal a constaté que le contrat comportait une clause selon laquelle « sont considérés comme cause d’exonération tous les évènements rendant l’exécution des prestations impossibles ou économiquement soutenables, tels que : la guerre, les émeutes, les mouvements populaires, l’incendie, les inondations, les calamités naturelles, les grèves, les coupures d’eau, de gaz ou d’électricité, le contingentement des combustibles ». 

Ce faisant, le tribunal a retenu que la liste des événements énumérés comme pouvant constituer une cause d’exonération était indicative et non limitative, de sorte que le contrat devait s’interpréter comme n’ayant pas entendu déroger aux dispositions de l’article 1195 du Code civil, laissant ainsi la possibilité à l’une des parties d’invoquer, au soutien d’une demande d’application de la théorie de l’imprévision, un événement ne correspondant pas strictement à l’un de ceux énoncés. 

En second lieu, vérifiant la réunion des conditions posées par l’article 1195 du Code civil, le tribunal a considéré que l’augmentation du prix du gaz, par son ampleur, constituait un changement de circonstances imprévisible. 

Également, il a été rappelé que la loi n’exigeait pas de rechercher si l’exécution du contrat menaçait la pérennité de l’entreprise, ou engendrait des difficultés économiques importantes qui seraient de nature à entraîner sa restructuration ou des licenciements pour motif économique, mais uniquement de rechercher si « la conclusion du contrat en l’exécution excessivement onéreuse pour une partie ». 

En l’espèce, le tribunal a considéré que l’équilibre économique du contrat s’était trouvé bouleversé, dès lors que la perte objectivée sur l’exercice équivalait approximativement à 3 fois le chiffre d’affaires escompté, de sorte que la poursuite de l’exécution du contrat était excessivement onéreuse pour la société M…, alors qu’elle n’avait pas accepté d’en supporter le risque, quand bien même le contrat prévoyait-il un prix fixe sur 3 ans. 

  • EPILOGUE : 

Sur ce, constatant que les offres de renégociation du contrat formulées amiablement par la société M… avaient échoué, alors qu’elle avait continué à exécuter le contrat d’exploitation, le tribunal a considéré qu’il y avait lieu de faire application des dispositions de l’article 1195 du Code civil et donc de prononcer la résiliation judiciaire du contrat liant les parties, tout en laissant au Syndicat des copropriétaires un délai de 2 mois, afin de lui permettre de rechercher un nouveau cocontractant pour son approvisionnement en gaz.  

Le Syndicat des copropriétaires a par ailleurs été condamné au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles. 

Cette décision s’avère intéressante en ce qu’elle rappelle les conditions d’application de la théorie de l’imprévision, à la lumière des dispositions de l’article 1195 du Code civil, dans un contexte jurisprudentiel peu fourni. 

A tous égards, les modalités de mise en œuvre de la théorie de l’imprévision doivent conduire à changer de « logiciel » et à s’ouvrir à la négociation raisonnée, afin d’éviter les affres de l’aléa judiciaire et de concourir à la mise en œuvre de solutions pragmatiques, intelligentes et équitables. 

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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