Cass, 3ème civ, 28 mai 2025, n°23-18.781
Dans le cadre de la réhabilitation de plusieurs logements, un maître de l’ouvrage a confié la réalisation du lot bardage à une entreprise assurée auprès de la SMABTP, qui s’est approvisionnée en chevrons bois auprès de la société BOIS ET MATERIAUX, assurée par la société ZURICH INSURANCE PUBLIC LIMITED COMPANY.
Pour les nécessités de cette opération, une assurance dommages ouvrage a été souscrite auprès de la SMABTP.
Postérieurement à la réception des ouvrages, le maître de l’ouvrage a constaté l’instabilité de plusieurs panneaux de bardage, ce qui a justifié la régularisation d’une déclaration de sinistre auprès de la SMABTP, en sa qualité d’assureur dommages ouvrage.
A la suite du dépôt du rapport d’expertise dommages ouvrage, le constructeur et la SMABTP, en sa qualité d’assureur dommages ouvrage, ont fait délivrer une assignation au fournisseur des chevrons bois défectueux et à son assureur, afin de solliciter leur condamnation à les indemniser de leurs préjudices sur le fondement de la garantie légale des vices cachés.
Alors que la procédure au fond était en cours, l’assureur dommages ouvrage a indemnisé le maître de l’ouvrage de ses préjudices, avant de solliciter du fournisseur et de son assureur le remboursement des indemnités versées.
Le fournisseur et son assureur ont alors opposé à l’assureur dommages ouvrage une fin de non-recevoir du fait de la prescription de l’action, pour ne pas l’avoir engagée dans le délai de deux ans à compter de la date d’établissement du rapport d’expertise préliminaire dommages ouvrage, qui constituait la date de connaissance du vice au sens des dispositions de l’article 1648 alinéa 2 du code civil.
Par un arrêt en date du 24 mai 2023, la cour d’appel de Caen a déclaré forcloses les demandes formées contre les sociétés BOIS ET MATERIAUX et ZURICH INSURANCE PUBLIC LIMITED COMPANY sur le fondement de la garantie légale des vices cachés, dès lors que le recours de l’assureur dommages ouvrage, subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage, n’avait pas été exercé dans le délai de 2 ans à compter de la connaissance du vice.
L’arrêt est cassé par un arrêt publié de la cour de cassation en date du 28 mai 2025 (Cass, 3ème civ, 28 mai 2025, n°23-18.781, Publié au bulletin), au terme d’une motivation qui n’entend pas se circonscrire à la situation spécifique de l’assureur dommages ouvrage, puisque traitant également de la situation du constructeur et de l’assureur RC décennale dans l’exercice de leurs recours à l’encontre du constructeur et de son assureur :
« 13. L’action en garantie des vices cachés exercée à l’encontre du fournisseur ou de l’assureur de celui-ci par le constructeur ou son assureur, après indemnisation amiable du maître de l’ouvrage ou de l’assureur dommages-ouvrage subrogé dans les droits de ce dernier, tend à faire supporter par les premiers la dette de réparation du constructeur à l’égard du maître de l’ouvrage.
14. Il en résulte que le délai de prescription de cette action ne court pas à compter de la connaissance du vice par le constructeur, mais à compter de l’assignation en responsabilité qui lui a été délivrée, ou, à défaut, à compter de l’exécution de son obligation à réparation.
15. Pour déclarer irrecevable la demande de la SMABTP, assureur de responsabilité de la société Cobeima, l’arrêt retient que cet assureur, qui a remboursé en exécution du contrat d’assurance l’indemnité que l’assureur dommages ouvrage aurait versée au maître de l’ouvrage, n’exerce pas une action récursoire après avoir été assigné, de sorte que, le délai biennal de l’article 1648 du code civil courant à compter de la découverte du vice par l’entreprise, soit en l’espèce, le 25 juillet 2017, date des conclusions de l’expert amiable, l’action en garantie des vices cachés introduite en mai 2020 est tardive.
16. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Le principe édicté par l’article 1648 alinéa 1er du code civil est simple, en ce que : « L’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice. »
La jurisprudence n’a eu de cesse de l’adapter à la spécificité des actions récursoires des constructeurs entre eux, ou bien à l’encontre des fabricants.
S’agissant des recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant, ils relèvent du délai de prescription de cinq ans de l’article 2224 du code civil, à compter du jour ou le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (Cass, 3ème civ, 16 janvier 2020, n°18-25.915), le délai de prescription de l’action entre coobligés ne relevant pas de l’article 1792-4-3 du code civil, qui ne concerne que les actions du maître de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 8 février 2012, n°11-11.1417).
Par un arrêt en date du 19 juillet 2024, la cour de cassation a confirmé que la prescription applicable au recours d’une personne assignée en responsabilité contre un tiers qu’il estime coauteur du même dommage a pour point de départ l’assignation qui lui a été délivrée au fond ou en référé si elle est alors accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit (Cass, chambre mixte, 19 juillet 2024, n°22-18.729, Publié au bulletin).
A cet égard, il sera rappelé que de façon malheureuse, la cour de cassation avait initialement considéré que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant était soumis à la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil, dont le point de départ devait être fixé au jour de l’assignation principale du maître de l’ouvrage, même en référé expertise (Cass, 3ème civ, 16 janvier 2020, n°18-25.915), avant de rétropédaler par son arrêt en date du 14 décembre 2022 (Cass, 3ème civ, 14 décembre 2022, n°21-21.305).
Il est donc aujourd’hui acquis que la prescription biennale de l’action récursoire en garantie des vices cachés du constructeur et de son assureur, recherchés à titre principal par le maître de l’ouvrage, court à compter de l’assignation au fond qui leur est délivrée ou de l’assignation en référé assortie d’une mise en cause de la responsabilité ou de la garantie (Cass, chambre mixte, 21 juillet 2023, n°20-10.763 ; 21-19.936, Publié au bulletin).
L’apport tout à fait certain de l’arrêt du 28 mai 2025 est de traiter la situation du constructeur ou de l’assureur , y compris dommages ouvrage, qui entend exercer une action récursoire à l’encontre du fabricant après avoir amiablement indemnisé le maître de l’ouvrage de son préjudice.
Dans cette hypothèse, au motif que l’exercice de l’action récursoire a pour objet de faire supporter sur le constructeur et son assureur « la dette de réparation du constructeur à l’égard du maître de l’ouvrage », la Haute juridiction adopte la solution de différer plus encore le point de départ du délai de prescription biennale de l’article 1648 alinéa 1er du code civil, non pas à la date de la connaissance du vice par l’établissement d’un rapport d’expertise amiable, y compris dommages ouvrage, par la délivrance d’une assignation au fond ou en référé avec reconnaissance d’un droit, mais à la date de « l’exécution de son obligation à réparation. », si elle s’avère plus favorable.
Le fait est que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mai 2025, la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale ne procédait pas d’une absence de recours indemnitaire à l’encontre du fabricant dans le délai de deux ans à compter de l’assignation au fond délivrée à la requête du maître de l’ouvrage, mais à compter de l’établissement du rapport d’expertise préliminaire dommages ouvrage qui lui était antérieur, l’indemnisation étant intervenue en cours d’instance.
Ainsi donc, après avoir considéré, s’agissant de l’action récursoire du constructeur, que la « découverte du vice » visée à l’article 1648 alinéa 1er du code civil doit s’analyser, au terme d’une acception très extensive mais équitable, comme étant la délivrance d’une assignation au fond ou en référé valant mise en cause de la responsabilité ou de la garantie, la cour de cassation en vient à considérer qu’elle doit également s’analyser comme étant la date du paiement effectué entre les mains du maître de l’ouvrage en indemnisation de ses dommages.
Dans son arrêt en date du 28 mai 2025, la cour de cassation expose ainsi les deux situations envisageables, en précisant que l’action en garantie légale des vices cachés exercée à l’encontre du fournisseur court « à compter de l’assignation en responsabilité qui lui a été délivrée, ou, à défaut, à compter de l’exécution de son obligation à réparation. »
Il en résulte donc à contrario qu’à défaut d’assignation, ou si le paiement intervient amiablement avant la mise en œuvre d’une procédure judiciaire à l’encontre du constructeur et de son assureur, le délai de prescription de deux ans de l’article 1648 alinéa 1er du code civil commencera à courir à compter de la date du paiement effectué au profit du maître de l’ouvrage.