Cass, 3ème civ, 26 juin 2025, n°23-18.306
A l’égard du maître de l’ouvrage, le maître d’œuvre est soumis à une obligation de conseil et de surveillance dans l’accomplissement du chantier, ce qui s’étend au contrôle administratif du respect par les entreprises des délais contractuellement prévus pour la réalisation des travaux qui leur sont confiés.
Lorsque les marchés prévoient des pénalités de retard, il incombe également au maître d’œuvre d’intégrer dans le décompte général les retards justifiés qui sont imputables aux entreprises concernées.
Le maître d’œuvre qui néglige d’affecter des retards au passif des entreprises responsables de l’allongement de la durée d’exécution d’un chantier commet donc une faute qui est de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis du maître de l’ouvrage (Cour administrative d’appel de Nantes, 4ème chambre, 5 mai 2011, n°09LY01900).
A cet égard, s’agissant des marchés publics, la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre, en cas de faute commise lors de l’établissement du décompte général, peut toujours être recherchée nonobstant le prononcé d’une réception sans réserve (Conseil d’état, 7 juin 2010, n°323372).
Il est donc déjà connu en jurisprudence que la responsabilité du maître d’œuvre est engagée dès lors que son manquement a privé le maître de l’ouvrage de l’application des pénalités de retard à l’encontre des entreprises défaillantes.
En effet, il s’entend qu’il appartient au maître de l’ouvrage de rapporter la preuve que la faute du maître d’œuvre est à l’origine d’un préjudice indemnisable, ce qui implique qu’il ait été empêché d’en solliciter le paiement auprès des entreprises sur la base d’un décompte précis et justifié, déduction faite des délais qui auraient pu être accordés, du fait notamment de travaux supplémentaires, et des jours d’intempéries.
Le fait est que le seul constat du retard de livraison n’est pas suffisant pour engager la responsabilité du maître d’œuvre, en l’absence de démonstration d’une faute objective et du préjudice en découlant (Cour d’appel de Pau, 26 avril 2013, n°13/01833 : « Et ainsi que le premier juge l’a relevé, l’examen des comptes-rendus de chantier, particulièrement détaillés et précis, exclut tout reproche relativement à l’exécution de la mission de coordination des travaux et de suivi du chantier. D’autre part, dès lors qu’il a été jugé définitivement l’absence de faute des entreprises concernées dans le retard de livraison, il ne peut être reproché au maître d’œuvre de ne pas leur avoir appliqué les pénalités de retard prévues dans leurs contrats respectifs »).
L’arrêt qui a été rendu le 26 juin 2025 par la Cour de cassation (Cass, 3ème civ, 26 juin 2025, n°23-18.306, Publié au bulletin) donne une nouvelle illustration de la responsabilité du maître d’œuvre du fait du manquement à son obligation de suivi du chantier, étant à l’origine du retard de livraison des travaux et ouvrant ainsi droit, au profit du maître de l’ouvrage d’une part, au paiement des pénalités de retard, et au profit de l’exploitant d’autre part, sur le fondement quasi délictuel, à la réparation de son préjudice d’exploitation :
« 10. La cour d’appel a relevé que la société Atlantic design construction France avait commis des manquements en n’avertissant pas au fur et à mesure le maître de l’ouvrage que le chantier prenait du retard pour des motifs qui seraient légitimes et en n’établissant pas des documents probants de nature à expliquer les évènements responsables des retards.
11. Elle en a déduit, …, qu’au regard des manquements du maître d’œuvre dans le suivi du chantier, la demande formée à son encontre par le maître de l’ouvrage au titre des pénalités de retard devait être accueillie. »
(…)
14. Ayant retenu que les manquements du maître d’œuvre dans le suivi du chantier justifiait sa condamnation à des pénalités de retard au bénéfice du maître de l’ouvrage, la cour d’appel en a déduit, …, que, ce manquement contractuel ayant causé à la société Serv’auto un préjudice résultant du retard de la réception et, par suite, de la mise à disposition de l’immeuble aux fins d’exploitation, celle-ci était fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle du maître d’œuvre aux fons d’obtenir réparation de son préjudice d’exploitation. »