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L’assureur multirisque habitation et l’assureur dommages ouvrage confrontes au principe de travaux de reprise perenne

L’obligation contractuelle à garantie de l’assureur multirisque habitation et de l’assureur dommages ouvrage procède du fait que les désordres trouvent leur source dans l’intensité anormale et déterminante d’un agent naturel pour l’un, dans l’existence de désordres de nature décennale pour l’autre.

Il incombe alors aux assureurs, qui ne sont pas des assureurs de responsabilité, mais des assureurs de dommages, d’indemniser leur assuré de sorte qu’il puisse financer la réalisation de travaux dont il aura été considéré qu’ils sont de nature pérenne, c’est-à-dire susceptibles de mettre un terme définitif aux désordres dénoncés.

Pour autant, de nouveaux désordres peuvent survenir à la suite des travaux réparatoires qui auront été réalisés et financés avec les indemnités versées par l’assureur, y compris lorsque les prescriptions édictées par les experts techniques auront été scrupuleusement respectées.

Dès lors que le sinistre qui affecte un ouvrage, qualifié de seconde génération, ne résulte plus directement et de façon déterminante de l’intensité anormale d’un agent naturel ou du désordre décennal initialement traité, mais d’une insuffisance des travaux réparatoires, il est légitimement permis de se demander si l’obligation de l’assureur procède toujours de sa garantie contractuelle, ou si elle s’inscrit dans le cadre d’une action en responsabilité personnelle, et auquel cas sur quel fondement, contractuel ou délictuel.

L’examen de la jurisprudence sur les dix dernières années conduit à constater que l’assureur multirisque habitation et l’assureur dommages ouvrage, dont les garanties s’inscrivent dans le cadre d’un objet qui n’est pas très divergent, sont traités de façon sensiblement différente pour une raison qui ne s’explique pas clairement. 

I – L’ASSUREUR MULTIRISQUE HABITATION REDEVABLE D’UNE OBLIGATION CONTRACTUELLE DE MOYENS SANCTIONNEE SUR LE FONDEMENT QUASI-DELICTUEL :

La police d’assurance multirisque habitation, selon les termes de l’article L 125-1 du code des assurances, ouvre droit à la garantie de l’assuré contre les effets des catastrophes naturelles sur les biens qui en son l’objet, effets qui s’entendent des dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises.

L’obligation contractuelle à garantie de l’assureur multirisque habitation procède donc du fait que les désordres ont pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel.

Saisie d’une demande indemnitaire dirigée à l’encontre de l’assureur multirisque habitation, du fait de l’inefficacité des travaux réparatoires, la Cour de cassation a tout d’abord sanctionné les juges d’appel qui avaient considéré que l’assureur étant tenu à garantie tant qu’il n’avait pas mis fin aux désordres, sa condamnation devait être prononcée sur le fondement des dispositions de l’article L 125-1 du code des assurances (Cass, 3ème civ, 12 janvier 2011, n° 09-17.131 ; 09-17.163).

Les juges d’appel, qui se trouvaient ainsi sanctionnés, avaient retenu que les désordres se trouvaient en relation causale directe avec l’insuffisance et le caractère inadapté des réparations effectuées et qu’il s’agissait d’un seul et même dommage qui devait être pris en charge au titre de l’assurance des risques de catastrophe naturelle.

La Cour de cassation a ensuite précisé que si l’assureur multirisque habitation pouvait être tenu au titre des conséquences dommageables de travaux réparatoires inefficaces, ce ne pouvait être que dans le cadre d’une action en responsabilité sur le fondement quasi-délictuel et non contractuel (Cass, 3ème civ, 28 janvier 2014, n° 12-29.161).

Le fondement contractuel de l’action en responsabilité engagée à l’encontre de l’assureur est écarté au motif que les dommages de seconde génération n’ont pas pour cause déterminante un phénomène de catastrophe naturelle.

Il en résulte donc que l’assuré, qui se trouve contraint d’agir sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, se doit de caractériser l’existence d’une faute qui soit imputable à l’assureur. 

Cette position a depuis lors été toujours confirmée par les 2ème et 3ème Chambres civiles de la Cour de cassation, qui se prononcent sur le fondement des dispositions de l’article 1382 du code civil, devenu 1240 du code civil (Cass, 3ème civ, 17 septembre 2014, n° 13-19.977 ; Cass, 2ème civ, 23 octobre 2014, n° 12-29.914 ; Cour d’appel de Toulouse, 15 décembre 2014, n° 13-06438 ; Cour d’appel de Poitiers, 1ère Chambre, 19 février 2019, n° 17-01725).

Le plus souvent l’assureur multirisque habitation se voit reprocher à faute une négligence dans la définition du projet géotechnique, pour avoir refusé de financer certains travaux qui avaient été conseillés par les experts techniques, pour ne pas avoir sollicité de bureau d’études, préférant financer des réparations ultérieurement jugées ponctuelles, insuffisantes et inadaptées de nature à permettre une stabilisation durable de l’ouvrage.

Dans son arrêt en date du 19 février 2019, la Cour d’appel de Poitiers retient ainsi que l’assureur multirisque habitation « n’a pas instruit le sinistre avec la rigueur nécessaire, a validé des travaux qui étaient intrinsèquement insuffisants, en ce qu’ils ne pouvaient stabiliser l’ouvrage, apporter une solution pérenne aux désordres ».

A l’inverse, lorsque l’assuré ne caractérise pas avec suffisance une faute de l’assureur multirisque habitation, notamment lorsque l’indemnisation est intervenue sur la base des préconisations de l’expert technique, dont les recommandations ont été suivies en tant que professionnel en la matière, sa mise hors de cause peut être prononcée (Cass, 2ème civ, 23 octobre 2014, n° 12-29.914 ; Cass, 3ème civ, 14 septembre 2017, n° 16-19.899 ; Cass, 2ème civ, 4 octobre 2018, n° 17-25.657).

Il reste que l’appréciation de la faute de l’assureur est soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.

Elle peut notamment résulter d’un manquement de l’expert technique dont l’assureur multirisque habitation avait sollicité le concours pour lui donner un avis sur la pertinence des travaux proposés par un bureau d’études spécialisé et sur l’efficacité des travaux à préfinancer (Cass, 3ème civ, 18 mars 2021, n° 20-13.736).

Dans cette espèce, il convient de souligner que l’expert technique, dont l’assureur multirisque habitation avait sollicité l’assistance, avait « pris une part déterminante dans le contrôle des travaux proposés ».

Il s’entend, qu’en tout état de cause, l’assureur multirisque habitation est parfaitement recevable à recourir en garantie à l’encontre des constructeurs qui sont intervenus pour définir les solutions réparatoires et réaliser les travaux de reprise, dès lors qu’il est justifié à leur encontre d’une faute quasi-délictuelle.

En ce sens, l’arrêt qui a été rendu le 26 octobre 2022 par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation est parfaitement conforme à la jurisprudence habituelle, en retenant d’une part que la responsabilité de l’assureur multirisque habitation est bien de nature quasi-délictuelle, et qu’il lui est parfaitement possible de recourir en garantie à l’encontre du technicien dont il s’est adjoint les services, à charge de rapporter la preuve de l’existence d’une faute d’autre part (Cass, 3ème civ, 26 octobre 2022, n° 21-22.427).

En l’espèce, il était reproché à l’assureur multirisque habitation d’avoir manqué à ses obligations en écartant, « sans explication, interrogation ou approfondissement », le devis présenté par le géotechnicien qui préconisait une reprise complète des fondations en sous-œuvre, de même qu’il était reproché au géotechnicien d’avoir réalisé des travaux, selon ce qui avait été en définitive validé par l’assureur, qu’il savait donc nécessairement insuffisants.

Après avoir constaté que les fautes avaient été parfaitement déterminées par les juges d’appel, ainsi que leur rôle causal dans la survenance des dommages, la Cour de cassation a pu considérer que c’était à bon droit qu’ils avaient condamné l’assureur et l’entreprise à se garantir mutuellement, dans une proportion qu’ils avaient souverainement appréciée.

II – L’ASSUREUR DOMMAGES OUVRAGE REDEVABLE D’UNE OBLIGATION CONTRACTUELLE DE RESULTAT :

La police dommages ouvrage, ouvre droit, selon les dispositions de l’article L 242-1 du code des assurances, à la garantie de l’assuré, à l’issue de la garantie de parfait achèvement, au titre de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du code civil.

A ce titre, la jurisprudence est absolument constante pour considérer que le maître de l’ouvrage est en droit d’obtenir le préfinancement des travaux de nature à mettre un terme définitif aux désordres de nature décennale qui sont dénoncés à l’assureur dommages ouvrages dans le délai d’épreuve de la garantie, et au plus tard dans le délai de 2 ans à compter de leur connaissance, en application des dispositions de l’article L 114-1 du code des assurances.

Une réfection insuffisante ou inefficace contraint donc l’assureur dommages ouvrage à indemniser le maître d’ouvrage des travaux complémentaires nécessaires pour remédier de façon définitive aux désordres constatés (Cass, 3ème civ, 18 février 2003, n° 99-12203).

L’obligation de l’assureur dommages ouvrage s’étend à la nécessité de préfinancer les travaux jusqu’à la réparation intégrale et pérenne des dommages (Cass, 3ème civ, 7 juillet 2004, pourvoi n° 03-12325 ; Cour d’appel de Paris, Pôle 4, Chambre 6, 13 septembre 2019, n° 18/24032 : « L’assureur dommages ouvrage doit assurer le préfinancement des travaux de nature à mettre fin aux désordres jusqu’à la réparation intégrale. » ; Cass, 3ème civ, 7 décembre 2005, n° 04-17418 ; Cass, 3ème civ, 20 juin 2007, n° 06-15686 ; Cass, 3ème civ, 11 février 2009, n° 07-21.761).

Le principe concerne non pas seulement la résurgence de désordres insuffisamment réparés, mais également l’aggravation des désordres initiaux traiatés, dont l’extension pouvait être prévisible pour l’assureur (Cass, 3ème civ, 22 juin 2011, n° 10-16.308). 

Dans un arrêt de principe en date du 1er avril 2021, la Cour de cassation a très clairement indiqué que l’assureur qui ne préfinance pas une réparation pérenne et efficace des désordres commet une faute contractuelle engageant sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l’article 1231-1 du Code civil (Cass, 3ème civ, 1er avril 2021, n° 20-11.026) :

« ALORS QUE commet une faute contractuelle l’assureur dommages ouvrage qui préconise et préfinance des travaux qui ne sont pas de nature à mettre fin de manière pérenne aux désordres dénoncés ; qu’en retenant, pour écarter toute faute contractuelle (…) sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions des exposants, si la préconisation et le financement de travaux qui s’étaient avérés, dans un premier temps, insusceptibles de mettre fin aux désordres dénoncés, ne constituaient pas une faute contractuelle à l’origine du préjudice de jouissance subi par la SCI Ken qui n’avait pu utilement remettre en location ses locaux commerciaux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147, devenu 1231-1 du code civil ».

De la même manière, dans un arrêt en date du 20 décembre 2018 (Cass, 3ème civ, 20 décembre 2018, n° 17-24.870), la Cour de cassation a confirmé que : 

« Ayant retenu qu’il incombait à l’assureur dommages ouvrage de préfinancer une réparation efficace et pérenne des dommages déclarés afin de mettre un terme définitif aux désordres, ce que l’absence de préfinancement des travaux de réparation par l’assureur dommages-ouvrage à la suite de la déclaration de sinistre n’avait pas permis de faire, la cour d’appel a pu en déduire que l’apparition de nouvelles fissures justifiait la mise en cause de la responsabilité contractuelle de l’assureur dommages ouvrage. »

Sur ce, il apparait que l’assureur dommages ouvrage qui ne préfinance pas des travaux de nature à remédier efficacement aux désordres de nature décennale qui lui sont dénoncés, engage sa responsabilité sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.

A cet égard, la jurisprudence retient que la notion de travaux de reprise pérenne s’entend comme étant de nature à mette un terme définitif aux désordres et ce donc au-delà du délai d’épreuve de la garantie décennale des constructeurs (Cass, 3ème civ., 22 juin 2011, n° 10-16.308, publié au Bulletin).

Dans cette espèce, les juges d’appel avaient considéré que l’assureur dommages ouvrage ne pouvait pas être tenu de garantir la réparation de dommages apparus postérieurement à l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, et découlant des mêmes vices de construction, sans violer les dispositions de l’article L. 242-1 du code des assurances.

La cassation était encourue, dès lors que : 

« les désordres constatés en 2002 trouvaient leur siège dans un ouvrage où un désordre de même nature avait été constaté dans le délai de la garantie décennale, et souverainement retenu que l’extension de ce désordre était prévisible, que les travaux préfinancés en 1998 par l’assureur dommages ouvrage, qui pouvait savoir que les désordres se propageraient aux murs, étaient insuffisants pour y remédier et que les désordres de 2002 ne se seraient pas produits si les travaux de reprise des désordres de 1997 avaient été suffisants, la cour d’appel a exactement retenu que la réparation à l’initiative de cet assureur devait être pérenne et efficace et que la société AMC devait préfinancer les travaux nécessaires à la non aggravation des dommages garantis ; »

Il en résulte, que la responsabilité de l’assureur dommages ouvrage est susceptible d’être recherchée bien au-delà de l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, dès lors que les travaux de reprise qui ont été préfinancés étaient manifestement insuffisants pour mettre un terme définitif aux désordres (Cass, 3ème civ, 22 juin 2011, n° 10-16.308, publié au Bulletin) :

« Mais attendu, d’une part, que l’obligation de l’assureur dommages-ouvrage à préfinancer les travaux nécessaires à la réparation des désordres de nature décennale n’est pas limitée à la réalisation des seuls travaux permettant à l’ouvrage siège des désordres d’atteindre sans nouveaux désordres le délai de dix ans courant à compter de la réception initiale de cet ouvrage ; »

A la lumière d’une jurisprudence qui est parfaitement constante, il convient donc de considérer que l’assureur dommages ouvrage répond de la fiabilité des travaux réparatoires qu’il préfinance au titre de sa garantie au titre d’une obligation contractuelle de résultat, ce qui exonère l’assuré de la démonstration de l’existence d’une faute.

L’obligation qui est mise à la charge de l’assureur est d’autant plus importante, qu’en dernier lieu la jurisprudence lui a également affecté une présomption d’imputabilité, en ce sens qu’il lui appartient de « rapporter la preuve de l’absence de lien de causalité entre son intervention et le dommage (Cass, 3ème civ, 29 juin 2017, n° 16-19634 ; Cass, 3ème civ, 13 février 2020, n° 19-10713).

Force est donc de constater que la différence de traitement entre l’assureur multirisque habitation et l’assureur dommages ouvrage est particulièrement significative, tenant au fait que la responsabilité du premier est à rechercher sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, ce qui implique la démonstration d’une faute, alors que la responsabilité du second est à rechercher sur le fondement beaucoup plus favorable de la responsabilité contractuelle, avec un régime d’obligation de résultat.

Cette différence de traitement interroge nécessairement, alors que dans les deux cas, la faute de l’assureur trouve bien sa source dans une exécution défectueuse du contrat d’assurance, dont l’essence est bien de nature contractuelle, avec des conséquences qui peuvent s’avérer particulièrement préjudiciable pour un assuré qui, en définitive, n’est maître de rien, puisqu’étant totalement dépossédé de la détermination de la solution réparatoire et de son estimation.

Par ailleurs, si le fondement contractuel de l’action en responsabilité engagée à l’encontre de l’assureur multirisque habitation est écarté au motif que les dommages de seconde génération n’ont pas pour cause déterminante un phénomène de catastrophe naturelle, le même raisonnement pourrait être retenu à l’égard de l’assureur dommages ouvrage qui, au titre des travaux de reprise, peut très bien devoir répondre de nouveaux désordres consécutifs aux travaux réparatoires qui ne sont pas nécessairement de nature décennale.

L’argument n’apparait donc pas concluant.

Sur ce, il apparaitrait raisonnable de convenir d’une harmonisation de la jurisprudence dans le sens d’une responsabilisation accrue des assureurs et des prestataires qu’ils mandatent pour définir des solutions techniques qui se doivent d’être efficaces et donc pérennes, qui plus est dans un contexte qui annonce une recrudescence importante des sinistres liés aux phénomènes de sécheresse.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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