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La vente de l’ouvrage suppose l’existence d’une réception tacite

Cass, 3ème civ, 3 avril 2025, n°23-19.248

La réception tacite implique de caractériser la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage.

La prise de possession de l’ouvrage et le paiement du prix des travaux réalisés font présumer la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de le recevoir (Cass, 3ème civ, 13 juillet 2016, n°15-17.208, Publié au bulletin : « Qu’en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, après avoir relevé que M. et Mme X… avaient pris possession des lieux le 1er juin 1999 et qu’à cette date ils avaient réglé la quasi-totalité du marché de la société Batica, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; »).

La notion de présomption de réception tacite a été expressément posée par l’arrêt du 24 novembre 2016 (Cass, 3ème civ, 24 novembre 2016, n°15-25.415, Publié au bulletin), en présence d’un paiement intégral du prix et d’une prise de possession de l’ouvrage.

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que la société Patrick immobilier avait pris possession des lieux le 22 avril 2010 et qu’à cette date, aucune somme ne lui était réclamée au titre du marché, ce qui laissait présumer sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ; »

Le principe de présomption de réception tacite a été par la suite étendu à la réception d’un lot (Cass, 3ème civ, 30 janvier 2019, n°18-10.197 ; 18-10.699, Publié au bulletin).

Le fait est que si l’appréciation des éléments caractérisant l’existence d’une présomption de réception tacite relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, la Cour de cassation s’attache toujours à vérifier qu’elle a bien été en mesure d’exercer son contrôle de motivation, puisqu’à défaut la cassation est encourue sur le fondement du défaut de base légale (Cass, 3ème civ, 5 mars 2020, n°19-13.024 ; Cass, 3ème civ, 1er avril 2021, n°19-25.563, Publié au bulletin).

Si la justification du paiement du marché ne fait pas difficulté, la notion de prise de possession est plus souvent ouverte à la discussion. 

Tel est le cas lorsque les maîtres d’ouvrage n’ont jamais cessé d’occuper l’ouvrage lors de la réalisation des travaux.

L’arrêt rendu le 13 juillet 2017 (Cass, 3ème civ, 13 juillet 2017, n°16-19.438, Publié au bulletin) est à cet égard très intéressant :

« Mais attendu qu’ayant retenu, à bon droit, qu’il appartenait à la société Yvon Boyer, qui invoquait une réception tacite, de la démontrer et relevé que M. et Mme Y… habitaient l’orangerie, non affectée de désordres, et non le moulin, objet des désordres, et que la société Yvon Boyer ne pouvait se prévaloir du paiement des travaux puisqu’elle leur réclamait le solde de sa facturation, la cour d’appel, qui a pu en déduire qu’en l’absence de preuve de la volonté des maîtres de l’ouvrage d’accepter celui-ci, la réception tacite ne pouvait être retenue et que seule la responsabilité contractuelle de la société Yvon Boyer pouvait être recherchée, a légalement justifié sa décision de ce chef ; »

Le maintien dans les lieux durant la réalisation des travaux ne saurait donc constituer un indice suffisant pour établir l’existence d’une volonté non équivoque du maître d’ouvrage d’accepter l’ouvrage, ce que la Cour de cassation a encore rappelé dans un arrêt en date du 23 mai 2024 (Cass, 3ème civ, 23 mai 2024, n°22-22.938) :

« En cas de travaux sur un ouvrage existant, la prise de possession permettant, avec le paiement du prix, de faire présumer la réception, ne peut résulter du seul fait que le maître de l’ouvrage occupait déjà les lieux. » 

La notion de prise de possession peut être également examinée à l’aulne de la revente du bien par le maître d’ouvrage.

L’arrêt qui a été rendu le 3 avril 2025 (Cass, 3ème civ, 3 avril 2025, n°23-19.248) s’inscrit dans le cadre de la réalisation d’une opération immobilière où les travaux de terrassement, voiries et réseaux divers (VRD) avaient été confiés à une entreprise générale, qui avait sous-traité les travaux de terrassement.

A l’issue des travaux, les factures du sous-traitant avaient été réglées à l’exception de la retenue de garantie de 5%.

N’étant pas soldée de son marché, le sous-traitant avait assigné l’entreprise générale, afin d’obtenir le paiement de sa retenue de garantie.

Par un arrêt en date du 27 avril 2023, la cour d’appel de Nouméa avait rejeté la demande en paiement, au motif qu’il n’était pas justifié de la réception tacite des ouvrages, condition nécessaire à la libération de la retenue de garantie, dès lors qu’il résultait des pièces du dossier que la réception des ouvrages n’avait pas pu être prononcée dans l’attente de la transmission des plans de récolement des travaux pour s’assurer de la conformité des travaux réalisés et que le litige contredisait même l’idée que le maître d’ouvrage aurait approuvé les travaux réalisés par l’entrepreneur principal et leur conformité (Cour d’appel de Nouméa, 27 avril 2023, n°19/00129). 

Aucune réception tacite ne pouvait donc être admise.

L’arrêt d’appel est cassé par l’arrêt du 3 avril 2025, dès lors que :

« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la réception tacite des travaux de terrassement de la voirie et des plates formes du centre commercial et de la résidence X ne résultait pas du paiement par la société Y des factures et de la cession de tous les lots du programme immobilier, laquelle supposait une prise de possession préalable, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Ainsi donc se trouve confirmée la jurisprudence selon laquelle la vente de l’ouvrage fait nécessairement présumer de sa prise de possession initiale et donc, du fait du paiement du prix du marché, de sa réception tacite.

Dans un précédent arrêt en date du 13 février 2025 (Cass, 3ème civ, 13 février 2025, n°23-17.425), la Cour de cassation a considéré que le vendeur qui adresse à un agent commercial un mandat de vendre l’immeuble objet des désordres, accepte à cette date de réceptionner tacitement l’ouvrage pour le revendre. 

En l’espèce, la vente portait sur une parcelle sur laquelle ne trouvait le bâtiment en cours de construction, alors que les acquéreurs avaient assigné les vendeurs en référé expertise du fait de l’apparition de désordres et que l’assureur RC décennale du maçon avait été assigné en déclaration d’ordonnance commune et opposé la forclusion de la garantie décennale :

« Les maîtres de l’ouvrage avaient ainsi manifesté le 8 août 2006 leur volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage, de sorte que, la réception tacite devant être fixée à cette date, l’action des acquéreurs était forclose. »

L’analyse confirmée par l’arrêt du 3 avril 2025, sanctionnait ainsi les juges d’appel pour ne pas avoir recherché si la prise de possession préalable à la réception ne résultait pas du paiement par le maître de l’ouvrage et de la cession de tous les lots du programme immobilier.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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