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Faute personnelle du gérant pour n’avoir pas conclu de contrat de construction de maisons individuelles

Cour de cassation 
chambre civile 3 
Audience publique du jeudi 7 juin 2018 
N° de pourvoi: 16-27680 
Publié au bulletin 

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 13 octobre 2016), que Mme Z… et son époux ont confié la construction de leur maison à la société ABC construction (la société) ; que les plans ont été réalisés par M. B…, architecte, par ailleurs gérant de la société ; qu’après expertise, Mme Z… et son époux, se plaignant notamment de désordres, ont assigné la société et M. B… en requalification du contrat en contrat de construction de maison individuelle, en annulation de ce contrat et en indemnisation ; que, Joachim Z… étant décédé, Mme Z… et ses enfants, Stéphane et Isabelle (les consorts Z…), ont repris l’instance en leur nom ;

Attendu que, pour rejeter la demande des consorts Z… tendant à ce que M. B… soit condamné, avec la société, à indemniser le préjudice causé par le défaut de souscription de l’assurance de responsabilité décennale et à rembourser les sommes résultant de l’apurement des comptes, l’arrêt retient que M. B… n’est pas personnellement le cocontractant ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M. B… n’avait pas commis des fautes séparables de ses fonctions sociales engageant sa responsabilité personnelle en omettant de conclure un contrat de construction de maison individuelle et de souscrire une assurance de responsabilité décennale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; »

Par un arrêt en date du 10 mars 2016 (Cass, 3ème civ, 10 mars 2016, n° 14–15.326), la Cour de cassation a considéré que le défaut de souscription de l’assurance RC décennale obligatoire était constitutif d’une faute personnelle du dirigeant d’une personne morale.

Ce faisant, la Cour de cassation a reconsidéré sa jurisprudence habituelle, dont il résultait jusqu’alors que : « même constitutif du délit prévu et réprimé par les articles L 111-34 du code de la construction et de l’habitation et L 243-3 du code des assurances, et caractérisant une abstention fautive imputable au dirigeant de la personne morale assujettie à l’obligation d’assurance, le défaut de souscription des assurances obligatoires de dommage et de responsabilité n’étaient pas séparables des fonctions de dirigeant », de sorte que la responsabilité civile personnelle du gérant ne pouvait pas être engagée.

La Cour de cassation considère donc désormais que le gérant d’une société : « qui n’avait pas souscrit d’assurance décennale, avait commis une faute intentionnelle, constitutive d’une infraction pénale, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il avait commis une faute séparable de ses fonctions sociales et engagé sa responsabilité personnelle ».

Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt rendu le 14 décembre 2017 (Cass, 3ème civ, 14 décembre 2017, n° 16-24.492) en des termes extrêmement clairs : « qu’en statuant ainsi, alors que commet une faute séparable de ses fonctions le gérant d’une société chargée de la construction d’un ouvrage qui s’abstient intentionnellement de souscrire l’assurance prévue par l’article L 214-1 du code des assurances, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

La décision étant rendue au visa des articles L 223-22 du code de commerce et L 214-1 et L 243-3 du code des assurances, il s’en déduite que la faute personnelle du gérant procède du caractère intentionnel du défaut de souscription de l’assurance obligatoire, d’où la référence à la notion d’abstention intentionnelle et à la notion d’infraction pénale par le biais de l’article L 243-3 du code des assurances, ce qui témoigne de l’intimité du lien existant entre l’infraction pénale et la faute civile.

Cette référence au caractère intentionnel du manquement, permet d’écarter a priori tout risque de condamnation au civil du gérant à titre personnel du fait de la non souscription de l’assurance RC décennale obligatoire qui pourrait découler du revirement opéré par la Cour de cassation concernant le quasi ouvrage, c’est-à-dire les dommages de nature décennale occasionnés par des travaux neufs aux existants.

La position désormais clairement adoptée par la Cour de cassation concernant la responsabilité personnelle du gérant de société, en matière de défaut de souscription de l’assurance RC décennale obligatoire, est encore rappelée dans l’arrêt rendu le 7 juin 2018.

Pour autant, la troisième chambre civile de la Cour de cassation va encore plus loin, puisqu’elle considère désormais que constitue également une faute séparable de ses fonctions sociales le fait pour le gérant d’une société de n’avoir pas régularisé de contrat de construction de maisons individuelles, en conformité avec les dispositions d’ordre public des articles L 231-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation :

« Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M. B… n’avait pas commis des fautes séparables de ses fonctions sociales engageant sa responsabilité personnelle en omettant de conclure un contrat de construction de maison individuelle et de souscrire une assurance de responsabilité décennale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

La décision, qui est d’ailleurs destinée à la publication, ne fait aucun doute à ce sujet, puisque l’arrêt vise bien deux fautes distinctes, à savoir d’une part le défaut de souscription de l’assurance RC décennale obligatoire, et d’autre part le défaut de régularisation d’un contrat de construction de maisons individuelles.

C’est bien la toute première fois que la Cour de cassation se prononce sur ce point.

Il sera alors observé que l’arrêt du 7 juin 2018 ne porte aucune référence à l’adverbe intentionnellement, ce qui pourrait laisser présumer le caractère systématique de la condamnation personnelle du gérant, pour faute détachable de ses fonctions, en cas de requalification du contrat d’entreprise en contrat de construction de maisons individuelles, sauf à considérer que l’analyse de la bonne foi du gérant reste soumise à la souveraine appréciation des juges du fond, ce qui apparait réservé en l’espèce.

Pour autant, de façon assez habituelle, la Cour de cassation semble déduire le critère d’intentionnalité de la compétence du constructeur qui, en sa qualité de professionnel du bâtiment, est réputé ne pas ignorer les règles légales applicables, surtout lorsqu’elles présentent un caractère d’ordre public. C’est tout précisément le raisonnement qui a été retenu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 juillet 2017 (Cass, crim, 11 juillet 2017, n° 16-86.322). Cette position rejoint donc une jurisprudence assez constante selon laquelle l’élément intentionnel est présumé du seul fait de la violation par le professionnel du bâtiment des prescriptions imposées par la loi. Dans un arrêt rendu le 22 mars 2011 (Cass, crim, 22 mars 2011, n° 10-81.533), la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi jugé que l’élément intentionnel devait être présumé même si la poursuite pénale était la conséquence d’une requalification du contrat d’entreprise en contrat de construction de maisons individuelles. L’absence de toute référence au critère d’intentionnalité dans l’arrêt du 7 juin 2018, en cas de requalification du contrat d’entreprise en contrat de construction de maisons individuelles, apparait donc en cohérence avec cette jurisprudence.

Dans cette arrêt, la Cour de cassation ne fait pas non plus expressément référence au manquement que constitue alors pour le gérant le fait de ne pas avoir souscrit la garantie de livraison obligatoire, pas plus que l’assurance dommages ouvrage, ce qui peut s’avérer tout aussi préjudiciable au maître d’ouvrage. Pour autant, ces manquements découlent nécessairement de la faute détachable du gérant, consistant à s’abstenir de régulariser un contrat de construction de maisons individuelles, d’où sa gravité qui justifie la sanction.

À cet égard, dans son arrêt en date du 11 juillet 2017, la Cour de cassation a été amenée à indiquer que la réparation à laquelle la partie civile peut prétendre du fait de la non fourniture de la garantie de livraison est limitée aux sommes que la victime aurait pu percevoir du garant.

Il faut donc comprendre qu’il en irait de même des indemnités dont le gérant pourrait être personnellement redevable à l’égard du maître d’ouvrage, en l’absence de souscription de l’assurance dommages ouvrage, en réparation du préjudice découlant de la nécessité d’avoir à reprendre, avant le prononcé de la réception de l’ouvrage, les malfaçons de la nature de celles relevant des dispositions de l’article 1792 du Code civil, en cas de défaillance du constructeur. L’obligation personnelle du gérant, qui vient sanctionner son manquement, ne peut en effet aller au-delà de ce à quoi aurait pu être tenu l’assureur si la garantie avait été souscrite.

Quoi qu’il en soit, ces différentes jurisprudences s’inscrivent très clairement dans l’esprit d’une démarche de la Cour de cassation, désormais bien établie, qui tend à faire peser sur le gérant lui-même les conséquences du non-respect par la société des dispositions d’ordre public tendant à la protection du maître d’ouvrage.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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