Cass, 3ème civ, 23 octobre 2025, n°23-20.266
L’arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation le 23 octobre 2025 est l’occasion de rappeler les conditions dans lesquelles le fabricant où l’intermédiaire est susceptible d’engager sa responsabilité décennale à l’égard du maître de l’ouvrage.
En l’espèce, des maîtres de l’ouvrage ont entrepris des travaux d’extension de leur maison d’habitation avec le concours d’un maître d’œuvre qui a reçu une mission complète.
Ils ont ensuite directement commandé à une entreprise la fabrication et la fourniture d’une structure pour un pavillon, avec tous les éléments s’y rattachant, pour un prix de 164.725 euros, conformément à un plan établi, incluant les études techniques particulières et la mission spécifique d’assurer la réception des travaux.
Les travaux de terrassement, réseaux, maçonnerie, enduit et pose des fournitures de l’entreprise ayant fabriqué la structure du pavillon ont été confiés à une autre entreprise.
Les ouvrages ont été réceptionnés avec des réserves qui ont été partiellement levées.
Se plaignant de malfaçons et de désordres, notamment d’infiltrations, les maîtres de l’ouvrage ont assigné les intervenants à l’acte de construire et leurs assureurs devant le juge des référés, afin de solliciter la mise en œuvre d’une expertise judiciaire.
À la suite du dépôt du rapport d’expertise et après avoir vendu leur immeuble, les maîtres de l’ouvrage ont assigné au fond, notamment le fabricant, pour solliciter l’indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité décennale et à défaut sur celui de la responsabilité contractuelle.
Par un arrêt rendu le 27 juin 2023, la cour d’appel de Poitiers, infirmant le jugement rendu par les premiers juges ayant retenu la qualification d’EPERS, a néanmoins retenu la responsabilité décennale du fabricant, au motif que son rôle lors de la réception des travaux, qui était prévue dans son marché, la proposition de réalisation de travaux de reprise, l’offre de remise de prix effectuée en lien avec les difficultés d’achèvement du chantier, étaient incompatibles avec celui d’un fournisseur, établissant ainsi l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage.
Le fabricant de matériaux avait alors inscrit un pourvoi, au motif qu’il n’était pas intervenu dans la réalisation des travaux affectés des désordres de nature décennale, et qu’il n’était pas lié au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, ne pouvant dès lors être assimilé à un constructeur au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Le pourvoi a été rejeté par l’arrêt de la Cour de cassation en date du 23 octobre 2025, au motif que (Cass, 3ème civ, 23 octobre 2025, n°23-20.266) :
« Ayant constaté que, selon son marché, la société G.H. avait conçu et fabriqué la structure du pavillon, ce dont il résultait l’existence d’un travail spécifique destiné à répondre à des besoins particuliers, la cour d’appel a pu en déduire que celle-ci était liée aux maîtres de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage. »
- Si la nature du recours du maître de l’ouvrage vis-à-vis du sous-traitant est nécessairement de nature délictuelle, son recours à l’encontre du fabricant s’inscrit dans le cadre d’une action directe de nature contractuelle, à raison de son manquement à son obligation de délivrance conforme (Cass, 3ème civ, 26 novembre 2014, n°13-22.067).
Dans un arrêt rendu le 16 novembre 2022 (Cass, 3ème civ, 16 novembre 2022, n°21-22.178), la Cour de cassation a très clairement précisé que le maître de l’ouvrage peut engager la responsabilité contractuelle du fabricant d’un produit non conforme, intervenue en qualité d’intermédiaire, quand bien même celui-ci n’est pas lié au maître de l’ouvrage par un contrat.
Il en résulte toutefois que le maître de l’ouvrage, qui jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartient à son auteur, dispose contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée, en application des dispositions de l’article 1231-1 du code civil.
Dans cette situation, le maître de l’ouvrage ne peut donc agir, au titre de son action directe, que sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, du fait de la non-conformité de la chose livrée, et non sur le fondement de la responsabilité civile décennale, dont n’est pas redevable en principe le fabricant du produit défectueux.
- Sur ce, l’article 1792-4 du code civil, qui institue un régime dérogatoire, dispose que : « Le fabricant d’un ouvrage, d’une partie d’ouvrage ou d’un élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage qui a mis en œuvre, sans modifications et conformément aux règles édictées par le fabricant, l’ouvrage, la partie d’ouvrage où éléments d’équipement considéré. »
La qualification d’EPERS (Elément Pouvant Engager la Responsabilité Solidaire du fabricant), selon les prescriptions édictées par l’article 1792-4 du code civil, requiert donc la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir :
- L’élément doit être conçu et fabriqué sur mesure pour un ouvrage, afin de lui être intégré.
- Il doit répondre à des exigences spécifiques sans être pour autant un produit unique ou non substituable.
- Il ne peut recevoir des aménagements lors de sa mise en place s’ils sont conformes aux prévisions et directives du fabricant.
À cet égard, par un arrêt rendu le 16 janvier 2014, la cour d’appel d’Aix en Provence a eu l’occasion de rappeler que la recevabilité de l’action directe contre le fabricant, sur le fondement des dispositions de l’article 1792-4 du code civil, n’est pas subordonnée à la mise en cause du locataire d’ouvrage (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 3ème chambre b, 16 janvier 2014, n°12-19.803).
Par ailleurs, l’action engagée par le maître de l’ouvrage à l’encontre du locateur d’ouvrage est interruptive de prescription à l’encontre du fabricant dont la responsabilité est elle-même recherchée ultérieurement sur le fondement des dispositions de l’article 1792-4 du code civil (Cass, 3ème, civ, 13 janvier 2010, n°08-19.075).
C’est ainsi qu’une pompe à chaleur a été considérée comme constituant un EPERS, dès lors qu’elle avait été conçue pour être mise en œuvre selon les caractéristiques et les performances définies par le fabricant, sans aucune modification de l’installateur (Cass, 3ème civ, 24 septembre 2014, n°13-19.952).
Encore, un plancher chauffant a été reconnu comme étant un EPERS, dès lors que les matériaux le composant étaient des éléments d’équipement conçus pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l’avance, alors que les éléments entrant dans sa composition n’étaient pas indifférenciés, mais constituaient un assemblage élaboré que l’entrepreneur avait mis en œuvre sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant (Cass, 3ème civ, 4 janvier 2006, n°04-13.489).
De la même façon, un plancher chauffant a été reconnu comme étant un EPERS, pour avoir été défini par le fabricant en fonction du chantier, celui-ci ayant remis des préconisations de montage et fourni des matériaux spécifiques pour sa réalisation (Cass, 3ème civ, 29 mars 2006, n°05–10.219).
En l’espèce, la cour d’appel de Poitiers a infirmé le jugement déféré qui avait retenu la qualification d’EPERS, au motif que les premiers juges n’avaient pas suffisamment motivé leur décision, alors que les maîtres de l’ouvrage, à qui incombait la charge de la preuve, ne justifiaient pas des conditions précises dans lesquelles les travaux avaient été réalisés, aucune pièce n’étant versée aux débats portant notamment sur les éventuelles directives du fabricant et l’articulation des interventions sur le chantier.
La responsabilité décennale du fabricant ne pouvait donc pas être engagée sur le fondement des dispositions de l’article 1792-4 du code civil.
- Il n’en reste pas moins que pour retenir la responsabilité décennale du fabricant, la cour d’appel de Poitiers a considéré qu’il était en l’espèce justifié que le contrat le liant directement au maître de l’ouvrage était un contrat de louage d’ouvrage, que l’article 1710 du code civil défini comme étant un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles.
Le fait est que la qualification de contrat de louage d’ouvrage permet également à l’acquéreur maître de l’ouvrage, indépendamment des dispositions de l’article 1792-4 du code civil, d’agir directement contre le fabricant sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs lorsqu’il est justifié de l’existence d’un lien contractuel direct.
La qualification de contrat de louage d’ouvrage dépend alors de la nature de la prestation qui a été effectivement réalisée par le fabricant, de sorte qu’un contrat de vente et de fourniture peut être requalifié en contrat de louage d’ouvrage lorsque la prestation a pour objet un travail spécifique adapté aux besoins particuliers du client.
Il incombe au juge de caractériser suffisamment le travail spécifique qui a été réalisé par le fabricant, de nature à justifier la qualification en contrat de louage d’ouvrage, avec les conséquences qui en découlent (Cass, 1ère civ, 16 novembre 2016, n°15-22.316).
C’est tout précisément ce qui a été confirmé par la Cour de cassation dans son arrêt en date du 23 octobre 2025 qui, procédant à un contrôle de motivation de l’arrêt d’appel, confirme la qualification de contrat de louage d’ouvrage, dès lors qu’en exécution de son marché, le fabricant avait conçu et fabriqué la structure du pavillon, impliquant en l’espèce « l’existence d’un travail spécifique destiné à répondre à des besoins particuliers ».
La mise en œuvre de la garantie décennale du fabricant ne procède dont pas en l’espèce de l’application des dispositions de l’article 1792-4 du code civil, en l’absence d’EPERS, dès lors qu’il n’avait pas été suffisamment justifié, par le maître de l’ouvrage, d’une mise en œuvre conforme aux prévisions et directives du fabricant, mais de la seule qualification du contrat liant le maître de l’ouvrage au fabricant en contrat de louage d’ouvrage.
En l’absence d’EPERS et en présence d’un lien contractuel direct entre le maître de l’ouvrage et le fabricant, la recherche d’une qualification en contrat de louage d’ouvrage est très certainement une issue plus habile pour obtenir la condamnation du fabricant sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.
- En dernier lieu, il sera rappelé que la responsabilité décennale du fabricant peut également être recherchée par le maître de l’ouvrage, lorsqu’il est établi qu’il a participé activement à la construction en ayant, de fait, assuré la maîtrise d’œuvre du chantier, au moins pour partie (Cass, 3ème civ, 28 février 2018, n°17-15.962, Publié au bulletin).
Tel est le cas, lorsqu’en marge de sa fourniture découlant de l’exécution du contrat de vente, le fabricant intervient sur le chantier pour délivrer une assistance au constructeur et prodiguer des conseils sur la mise en œuvre du produit livré.
Dans son arrêt en date du 28 février 2018, la Cour de cassation avait ainsi relevé que le préposé du fournisseur avait donné des instructions techniques précises au poseur, qui s’y était conformé, ce qui caractérisait suffisamment une participation active à l’acte de construire pour retenir sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil :
« La cour d’appel, qui a pu en déduire que la société LAFARGE n’était pas seulement intervenue comme fournisseur de matériaux, mais en qualité de constructeur au sens de l’article 1792 du code civil, a légalement justifié sa décision de ce chef. »
A tous égards donc, les fabricants doivent renouveler de prudence pour ne pas s’exposer au risque de mise en cause de leur responsabilité à l’égard des maîtres de l’ouvrage, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs.