Cass, 3ème civ, 23 octobre 2025, n°23-18.771
Un couple a procédé à l’acquisition d’une maison d’habitation qui avait été partiellement édifiée par le vendeur.
Un diagnostic de performance énergétique, annexé à l’acte authentique de vente, mentionnait un niveau de performance énergétique de classe c.
Faisant état notamment de problèmes d’isolation, après avoir obtenu la mise en œuvre d’une expertise judiciaire, les acquéreurs ont assigné le vendeur, le diagnostiqueur et son assureur, en réparation de leurs préjudices.
Par un arrêt en date du 23 mai 2023, la cour d’appel de Rennes a condamné le vendeur constructeur à indemniser les acquéreurs de leurs préjudices, au motif que l’insuffisance d’isolation thermique rendait la maison d’habitation impropre à sa destination au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil, dès lors que certaines pièces ne pouvaient pas être chauffées normalement en hiver sans engager des dépenses importantes d’énergie.
La décision d’appel est cassée par l’arrêt de la Cour de cassation en date du 23 octobre 2025, au motif que (Cass, 3ème civ, 23 octobre 2025, n°23-18.771) :
« en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui Incombait, si les défauts d’isolation thermique constatés ne permettaient l’utilisation de l’ouvrage qu’à un coût exorbitant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Et la Cour de cassation d’indiquer que : « En matière de performance énergétique, l’impropriété à destination ne peut être retenue qu’en cas de dommages conduisant à une surconsommation énergétique ne permettant l’utilisation de l’ouvrage qu’à un coût exorbitant. »
Or, le simple fait que le défaut d’isolation cause une gêne au quotidien, voire une perte de jouissance pour certaines pièces qui ne peuvent pas être occupées en période hivernale, entraînant des frais annuels d’énergie excessifs, ne caractérise pas en quoi l’ouvrage ne pourrait pas être occupé sans exposer l’acquéreur à des frais annuelle d’énergie excessifs, c’est-à-dire exorbitants.
La décision s’avère conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce sens que le défaut de performance énergétique ne rend l’ouvrage impropre à sa destination que s’il résulte d’un dommage matériel (défaut du produit ou de mise en œuvre) ayant pour conséquence une surconsommation énergétique telle que l’utilisation de l’ouvrage n’est possible qu’à un coût exorbitant.
Il en résulte donc que le simple constat d’une performance énergétique décevante ou d’un diagnostic de performance énergétique défavorable ne suffit pas à caractériser une impropriété de l’ouvrage à sa destination au sens de l’article 1792 du code civil.
A cet égard, la jurisprudence ne fait en réalité qu’appliquer strictement l’article L 123-2 du code de la construction et de l’habitation pour définir la notion d’impropriété à la destination, à savoir :
« toute condition d’usage et d’entretien prise en compte et jugée appropriée, à une surconsommation énergétique ne permettant l’utilisation de l’ouvrage qu’à un coût exorbitant. »
Le texte reprend la formulation de l’ancien article L 111-13-1 du code de la construction et de l’habitation et encadre ainsi strictement la possibilité de mobiliser la garantie décennale en matière de performance énergétique.
L’arrêt qui a été rendu le 23 octobre 2025, s’il n’est pas publié, n’en constitue pas moins un arrêt de principe sur le sujet.
En effet, dans un arrêt en date du 27 septembre 2000, sans faire expressément état de la notion de « coût exorbitant », la Cour de cassation avait indiqué que : « Les défauts d’une installation de chauffage ne relèvent pas de la garantie décennale du seul fait qu’ils entraînent des dépenses anormales d’énergie. » (Cass, 3ème civ, 27 septembre 2000, n°98- 22.243).
Sur ce, plutôt que du caractère « anormal » de la consommation d’énergie imputée à un défaut d’isolation thermique, le caractère décennal du désordre procède donc de son caractère « exorbitant » (Cour d’appel d’Amiens, 1ère chambre civile, 24 décembre 2019, n°18-02041 ; Cour d’appel d’Angers, com, 13 décembre 2011, n°10-02273, faisant état d’un « gouffre énergétique » ; Cour d’appel de Poitiers, 1ère chambre, 12 décembre 2023, n°22-00295).
La décision du 23 octobre 2025 doit être méditée au regard de toutes les jurisprudences issues de juges du fond qui se réfèrent simplement à l’impossibilité d’obtenir une température de confort normal en période hivernale dans un immeuble d’habitation, sans pour autant caractériser l’existence de dépenses « exorbitantes » (Cour d’appel de Nîmes, 2ème chambre section a, 3 octobre 2019, n°18-01555 ; Cour d’appel de Toulouse, 1ère chambre section 1, 2 juillet 2024, n°20-02834).
En définitive, il convient de distinguer :
- Le défaut de performance énergétique au sens strict, découlant de l’impossibilité d’obtenir une température normale de confort dans des pièces à vivre (17 ou 19°c), sauf au prix d’une surconsommation anormale, voir importante, ce qui ne caractérise pas en soit un désordre de nature décennale.
- L’impossibilité d’obtenir une température normale de confort, sauf à consacrer des dépenses de chauffage manifestement exorbitantes, ce qui caractérise alors l’existence d’un désordre de nature décennale.
Il reste que le caractère « exorbitant » d’une dépense procède d’une analyse subjective, qui est soumise à l’appréciation des juges du fond, à qui il incombe de le caractériser après avoir constaté l’existence d’un effort financier très clairement déraisonnable.
Bien entendu, si la température de confort ne peut jamais être atteinte, quel que soit l’importance du budget consacré, le caractère décennal du désordre est nécessairement caractérisé.
À l’inverse, le seul non-respect des prescriptions de la RT 2012 constitue une simple non-conformité qui n’engage que la responsabilité contractuelle du constructeur et non la garantie décennale de l’assureur (Cour d’appel de Nîmes, 2ème chambre section a, 28 août 2025, n°24-01086 ; Cour d’appel de Poitiers, 1ère chambre, 15 avril 2025, n°23-01309).
A cet égard, dans les rapports entre vendeur et acquéreur, en dehors du champ d’application de la responsabilité décennale du vendeur constructeur visée à l’article 1792-1 du code civil, il convient de rappeler, qu’en tout état de cause, le vendeur est tenu de délivrer un bien conforme aux stipulations contractuelles, notamment lorsqu’il est annoncé à l’acquéreur un niveau de performance énergétique précis.
Il en résulte donc que si la performance réelle est inférieure à celle qui est stipulée à l’acte de vente, ou dans ses annexes, le vendeur manque à son obligation de délivrance conforme, ce qui peut ouvrir droit à une indemnisation au profit de l’acquéreur sur le fondement des dispositions de l’article 1604 du code civil (Cour d’appel d’Orléans, chambre civile, 16 septembre 2019, n°18-01109 ; Cour d’appel de Paris, pôle 4 chambre 1, 21 février 2025, n°22-19288 ; Cour d’appel de Grenoble, 2ème chambre, 4 octobre 2022, n°20-00246).
Mais à défaut de stipulations contractuelles précises à ce sujet, la responsabilité du vendeur ne peut être recherché sur le fondement du défaut de délivrance conforme (Cour d’appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 7 mars 2023, n°20-04200 ; Cour d’appel de Reims, 1ère chambre section civile, 26 mai 2020, n°19-01354).
Enfin, la responsabilité du vendeur, surtout professionnel, peut être également recherchée sur le fondement de la garantie des vices cachés, lorsque le défaut de performance énergétique n’était pas apparent lors de la vente et qu’il rend le bien impropre à son usage normal (Cour d’appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 7 mars 2023, n°20-04200 ; Cour d’appel de Riom, 1ère chambre, 22 janvier 2018, n°16-02019, justifiant une indemnisation pour perte de valeur).