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Délai de prescription de l’action directe du tiers victime à l’encontre de l’assureur du constructeur

Cass, 3ème civ, 9 octobre 2025, n°23-22.920

L’arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation le 9 octobre 2025 nous rappelle que le délai de prescription de l’action directe à l’encontre de l’assureur du constructeur est identique au délai de prescription de l’action dont dispose le maître de l’ouvrage à l’égard de l’assuré.

En l’espèce, un maître de l’ouvrage a fait construire un immeuble avec le concours d’un maître d’œuvre assuré auprès de la MAF, dont il a vendu les différents lots en l’état futur d’achèvement.

Le maître de l’ouvrage ayant été placé en liquidation judiciaire et se prévalant de l’inachèvement des travaux, le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires ont régularisé une déclaration de sinistre auprès de la caution financière qui avait délivré une garantie extrinsèque d’achèvement.

Un refus de garantie ayant été notifié par le garant d’achèvement, le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires l’ont fait assigner au fond le 23 avril 2012, avec le maître d’œuvre et le notaire, afin de solliciter l’indemnisation de leurs préjudices.

Une expertise judiciaire a été ordonnée par le juge de la mise en état le 20 décembre 2012, au seul contradictoire du maître d’œuvre.

Le rapport d’expertise judiciaire a été déposé le 5 août 2014.

Le 20 août 2018, le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires ont assigné la MAF en sa qualité d’assureur du maître d’œuvre d’exécution, afin de solliciter sa condamnation à les indemniser de leurs préjudices locatifs, moraux et financiers.

La MAF a alors soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action dirigée à son encontre.

Par un arrêt en date du 28 septembre 2023, la cour d’appel de Montpellier a jugé l’action non prescrite, au motif que seul le rapport d’expertise judiciaire déposé le 5 août 2014 avait permis au syndicat des copropriétaires et aux copropriétaires d’avoir connaissance des manquements de l’architecte, de sorte que l’action engagée au fond le 20 août 2018 n’était pas prescrite.

La MAF a formé un pourvoi en cassation, au double motif que l’action en responsabilité contractuelle ou délictuelle se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l’exercer d’une part, et que l’action directe dirigée contre l’assureur se prescrit dans le même délai que l’action de la victime contre le responsable d’autre part.

Or, selon la MAF, cette connaissance se déduisait nécessairement de l’assignation en responsabilité qui avait été délivrée au fond le 23 avril 2012 à la requête du syndicat des copropriétaires et des copropriétaires.

L’arrêt d’appel est cassé par la décision de la Cour de cassation en date du 9 octobre 2025 :

« 11. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la MAF, qui soutenait que la mise en cause de la responsabilité de Mme (M) par l’assignation délivrée au fond le 23 avril 2012 par le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires établissait la connaissance des faits faisant courir le délai pour agir à l’encontre de l’assureur de cette dernière après la réclamation au fond de la victime contre l’assuré, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé. »

Si la cassation est techniquement prononcée pour défaut de motifs, sur le fondement du défaut de réponse à conclusions visé à l’article 455 du code de procédure civile, il n’en reste pas moins que la décision rendue apporte des informations intéressantes.

  1. Il est d’abord constant que l’action directe du tiers lésé contre l’assureur du constructeur, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à la réparation de son préjudice, se prescrit dans le même délai que l’action contre le responsable, qu’il s’agisse d’un constructeur ou d’un autre responsable, même en l’absence de mise en cause de l’assuré (CA d’Angers, 5 janvier 2010, n°07-02811).

Le fait est que la prescription biennale de l’article L 114-1 du code des assurances ne s’applique qu’aux relations entre l’assuré et l’assureur, de sorte que l’action directe du tiers lésé contre l’assureur du responsable n’est pas soumise à la prescription biennale (Cass, 3ème civ, 9 octobre 2025, n°24-10.405 ; CA d’Angers, 17 juin 2014, n°12/02150).

  1. Il est par ailleurs constant que l’assignation n’interrompt le délai de prescription qu’à l’égard de la partie qui est assignée, de sorte que l’assignation qui est délivrée à un constructeur n’interrompt pas la prescription à l’égard de son assureur (CA de Bordeaux, 17 novembre 2008, n°08/04068).

Sur ce, si le tiers victime entend régulariser la mise en cause de l’assureur du responsable, lorsque l’action est fondée sur la garantie décennale, le délai de prescription est de dix ans à compter de la réception de l’ouvrage, conformément aux dispositions de l’article 1792-4-1 du code civil (Cass, 3ème civ, 4 mars 2021, n°19-23.415 ; CA de Rennes, 12 octobre 2005, n°04-055.57).

En l’absence de réception, tel qu’en l’espèce, le délai de prescription est alors de cinq ans à compter de la connaissance des faits permettant d’agir, en application des dispositions de l’article 2224 du code civil.

  1. Il reste que le tiers lésé peut toujours agir à l’encontre de l’assureur du responsable de ses dommages au-delà du délai de prescription en principe requis, tant que l’assureur reste exposé au recours de son assuré.

Ainsi donc, l’action directe peut toujours être exercée au-delà du délai d’épreuve, tant que l’assureur reste exposé au recours de son assuré, c’est-à-dire tant que l’action de l’assuré contre l’assureur n’est pas elle-même prescrite par l’expiration du délai de deux ans prévu par l’article L 114-1 du code des assurances (Cass, 3ème civ, 4 mars 2021, n°19-23.415).

Le sujet ne se posait pas en l’espèce, dès lors qu’à l’évidence la MAF n’était plus exposée au recours en garantie de son assuré.

  1. Reste à déterminer le point de départ du délai de prescription en matière contractuelle, compte tenu du caractère glissant du délai de cinq ans prévu à l’article 2224 du code civil.

En effet, si le point de départ du délai de prescription dans le cadre d’une action fondée sur la responsabilité décennale est de dix ans à compter de la réception, l’action directe fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun, ou délictuelle, a pour point de départ le jour où le titulaire a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant d’exercer l’action.

En l’espèce, la Cour de cassation retient comme point de départ pour l’exercice de l’action directe à l’encontre de l’assureur du responsable, non pas la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire venant objectiver le manquement de l’assuré à ses obligations, mais la date de la mise en cause de sa responsabilité par la délivrance d’une assignation au fond.

Bien entendu, cette analyse n’est pas sans rappeler la position adoptée par la Cour de cassation pour déterminer le point de départ du délai de prescription des recours entre les coobligés à la suite de son revirement de jurisprudence en date du 14 décembre 2022 (Cass, 3ème civ, 14 décembre 2022, n°21-21.305).

Le fait est que c’est bien par la délivrance d’une assignation au fond que le maître de l’ouvrage notifie expressément au constructeur la mise en cause de sa responsabilité et la nature des faits qui lui sont reprochés, interrompant ainsi le délai de prescription, de sorte que si une action doit être également engagée à l’égard de son assureur, il n’est pas illégitime qu’elle soit initiée dans le même délai, sauf à pouvoir bénéficier du délai supplémentaire de deux ans propre au recours de l’assuré à l’égard de son propre assureur.

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Par Ludovic Gauvin

Ludovic GAUVIN a prêté serment le 10 janvier 1996 et est inscrit auprès du barreau d’Angers depuis le 1er janvier 1997. Doté d’une formation générale en droit privé et en droit public, il a progressivement orienté son activité professionnelle dans le domaine du Droit immobilier et du Droit de la construction au sein d’une structure plus importante composée de 19 associés, dont il a été associé durant 13 ans, en charge du secteur Immobilier et Assurances dommages et RC. Associé fondateur du cabinet ANTARIUS AVOCATS, dont il est le gérant, il consacre désormais son activité uniquement au Droit de l’immobilier et au Droit de la construction sur toute la France pour les particuliers, les entreprises et les institutionnels publics et privés.

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