Cass, 3ème civ, 10 juillet 2025, n°23-20.135
Il est constant que le maître de l’ouvrage peut se voir imputer une part de responsabilité dans l’exercice de ses recours en garantie à l’égard Il est constant que le maître de l’ouvrage peut se voir imputer une part de responsabilité dans l’exercice de ses recours en garantie à l’égard des constructeurs intervenus sur un chantier, lorsqu’il a commis une faute personnelle en s’immisçant fautivement dans la conception ou la réalisation des travaux d’une part, ou en acceptant sciemment la réalisation d’un risque encouru d’autre part.
Le fait est que la répartition de la dette entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs condamnés solidairement ou in solidum dépend de la contribution causale de chacun à la réalisation du dommage.
Et c’est bien au stade de l’examen des recours en garantie qu’il s’agit d’apprécier les fautes de chacun pour statuer sur la répartition des responsabilités entre constructeurs.
C’est ainsi que dans un arrêt en date du 20 octobre 2021 (Cass, 3ème civ, 20 octobre 2021, n°20-19.179), la Cour de cassation a rappelé que la part de responsabilité de chaque intervenant peut être modulée en fonction de la contribution causale de chacun à la réalisation du dommage, de sorte que les juges d’appel auraient du rechercher si le maître de l’ouvrage n’avait pas lui-même contribué au dommage.
- La notion d’immixtion fautive du maître de l’ouvrage implique la démonstration d’une attitude active de sa part dans la conception ou la réalisation des travaux.
Tel est le cas lorsqu’il est établi que, par son comportement personnel, le maître de l’ouvrage a contribué à la réalisation du dommage en délivrant des instructions contradictoires aux entreprises en cours de chantier, qui plus est à l’insu de la maîtrise d’œuvre, nonobstant les mises en garde qui lui auront été adressées, afin de l’alerter sur le caractère préjudiciable d’une telle situation.
A cet égard, la seule compétence technique du maître d’ouvrage dans le domaine du bâtiment ne saurait suffire à caractériser une faute de sa part, puisqu’il est en tout état de cause nécessaire de justifier de l’existence d’une immixtion fautive dans la conduite du chantier (Cass, 3ème civ, 13 janvier 1982, n°80-14.329, Publié au bulletin).
La responsabilité du maître de l’ouvrage peut être également retenue lorsqu’il est établi qu’il a sciemment dissimulé des informations importantes aux constructeurs (Cass, 3ème civ, 11 octobre 2000, n°98-22.562 : Information sur la constitution d’un remblais tout en refusant de réaliser une étude de sol qui était préconisée).
Encore, la responsabilité du maître de l’ouvrage pourra être retenue lorsqu’il sera établi qu’il aura abusivement cessé de payer les factures des entreprises, en compromettant ainsi leur situation financière (Cass, 3ème civ, 4 mai 1988, n°86-18.884).
- La mise en cause de la responsabilité du maître de l’ouvrage du fait d’une acceptation délibérée d’un risque constructif procède d’une analyse différente, puisqu’il ne s’agit pas alors de lui reprocher les conséquences dommageables d’une attitude active en cours de chantier, mais le plus souvent une attitude passive, nonobstant les conseils précis et éclairés qui lui sont prodigués.
Il reste que la faute du maître de l’ouvrage doit être parfaitement caractérisée, en tenant compte du fait qu’il bénéficie toujours d’une présomption d’incompétence, puisqu’étant considéré, la plupart du temps, comme étant un profane de la construction.
C’est ainsi qu’en l’absence de réserve clairement exprimée par le constructeur, la seule volonté du maître de l’ouvrage de réaliser des économies ne saurait suffire à établir une acceptation délibérée de sa part du risque découlant de la solution constructive retenue (Cass, 3ème civ, 1er mars 2023, n°21-25.487).
La responsabilité du maître de l’ouvrage ne peut donc être retenue qu’en présence d’une « acceptation délibérée des risques » de sa part, ce qui implique de démontrer qu’il avait une parfaite connaissance non pas seulement du risque encouru, mais également des conséquences susceptibles d’en découler (Cass, 3ème civ, 5 juin 2025, n°23-23.775, Publié au bulletin).
Tel est donc le cas lorsque le maître de l’ouvrage a décidé de faire l’économie d’une étude de sol, nonobstant l’avis défavorable émis par un contrôleur technique, sa réserve caractérisant la mise en garde à laquelle est subordonnée la notion d’acceptation délibérée des risques (Cass, 3ème civ, 7 novembre 2024, n°22-22.793 ; 23-18.548).
A l’inverse, « La demande de l’architecte réclamant l’assistance d’un bureau d’études techniques pour justement étudier le projet d’infrastructure est insuffisant à établir que le maître d’ouvrage ne pouvait ignorer les risques encourus par la réalisation de son programme de promotion immobilière, quand bien même il a pris la précaution élémentaire de souscrire une assurance pour garantir les dommages qui pourraient être occasionnés aux avoisinants. » (Cour d’appel de Caen, 30 juin 2015, n°14/01090).
La jurisprudence insiste donc sur la nécessité d’une « faute caractérisée » du maître de l’ouvrage pour justifier la limitation de son indemnisation dans l’exercice de ses recours en garantie à l’encontre des constructeurs et sur la charge de la preuve qui leur incombe (Cass, 3ème civ, 20 octobre 2021, n°20-19.179 ; Cassation d’un arrêt d’appel pour ne pas avoir recherché si le fait, pour le maître d’ouvrage, d’avoir commandé des travaux insuffisants en toute connaissance de cause, n’avait pas contribué à la réalisation du dommage).
L’arrêt qui a été rendu le 10 juillet 2025 (Cass, 3ème civ, 10 juillet 2025, n°23-20.135) s’inscrit parfaitement dans cette analyse, dans le cadre d’une affaire où une part de responsabilité avait été imputée au maître de l’ouvrage, dans le cadre de l’exercice de ses recours, pour avoir voulu faire des économies substantielles en ne commandant pas l’étude de sol et l’étude béton qui avaient été demandées par les constructeurs.
L’arrêt de la cour d’appel de Montpellier en date du 22 juin 2023 est cassé, au motif que (21) :
« En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi les maîtres de l’ouvrage avaient été parfaitement mis en garde et informés, par les locateurs d’ouvrage, des risques encourus par l’ouvrage à défaut de réalisation d’une étude de sol et de béton, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Dans le cadre de cet arrêt, la Cour de cassation a également indiqué sans surprise que le fait, pour un maître de l’ouvrage, de procéder à la désignation d’une entreprise pour le lot gros-œuvre, qui plus est en accord avec le maître d’œuvre, ne pouvait pas constituer une immixtion du maître de l’ouvrage dans le choix des entreprises, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de laisser à sa charge une part de la dette de réparation dans le cadre de ses recours contre les constructeurs (23) :
« En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une immixtion des maîtres de l’ouvrage dans les travaux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Ainsi donc, tel que l’a rappelé la cour d’appel de Nîmes dans un arrêt en date du 28 août 2025 (Cour d’appel de Nîmes, 28 août 2025, n°23/00825), le maître de l’ouvrage qui a été condamné à indemniser un tiers du fait du trouble anormal de voisinage occasionné par ses travaux, et à l’encontre duquel il n’a pas été caractérisé d’immixtion fautive ou d’acceptation délibérée des risques, peut alors exercer son action subrogatoire à l’encontre des constructeurs, sur le fondement de la responsabilité sans faute, sans qu’il soit possible de laisser à sa charge une quote-part du préjudice.
A toute fin, il sera également rappelé que la faute éventuelle du maître de l’ouvrage, et les conséquences dommageables qui en découlent, doivent être nécessairement appréciées en tenant compte du fait, qu’en tout état de cause, un constructeur doit toujours s’abstenir de réaliser des travaux dont il est en mesure d’apprécier le caractère inefficace (Cass, 3ème civ, 10 septembre 2020, n°19-11.218).