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Droit à la preuve et licéité de la preuve

Antarius Avocats

Tribunal judiciaire d’Angers, 1ère Chambre, 1er décembre 2020, 18-03154, Kamal S…/THELEM ASSURANCES)

Si l’article 9 du code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention, il sentant que ce principe doit nécessairement être concilié avec la question de la licéité de la preuve.

À cet égard, la jurisprudence a consacré le principe du droit à la preuve, qui trouve sa source dans le droit à un procès équitable impliquant de « se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause y compris ses preuves (CEDH, 13 mai 2008, XX c/ Belgique, requête n° 65097-01 et Cass., 1ère civ., 5 avril 2012, n° 11-14177).

Il en résulte une nécessaire logique de conciliation entre le contrôle de la licéité de la preuve, du fait de l’atteinte qu’elle peut emporter à la vie privée, et la nature de l’intérêt protégé.

Dans un arrêt en date du 25 février 2016, la Cour de cassation a précisé que « le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass., 1ère civ., 25 février 2016, n° 15-12403).

Dans cette espèce, dans le cadre d’un accident de chantier, il a été considéré que par leur durée et leur ampleur, les enquêtes privées qui avaient été menées par l’assureur, allant de quelques jours à quelques mois, et qui avaient consisté en des vérifications administratives, un recueil d’informations auprès de nombreux tiers, et la mise en place d’opérations de filature et de surveillance à proximité du domicile de la victime et lors de ses déplacements, portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, de sorte qu’elles devaient être considérées comme étant irrecevables comme moyen de preuve.

Plus récemment, dans un arrêt en date du 25 novembre 2020, la Cour de cassation a indiqué qu’une preuve obtenue en méconnaissance des règles relatives à la protection des données à caractère personnel entraîne pas nécessairement qu’elle soit écartée des débats (Cass., soc, 25 novembre 2020, n° 17-19523) :

« L’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteint au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Il n’en reste pas moins « qu’en matière civile, toute preuve obtenue en portant atteinte au principe de loyauté des preuves est irrecevable » (Cass., 2ème civ., 7 octobre 2004, n° 03-12653), ce qui exclut tous procédés clandestins ou trompeurs au préjudice de l’adversaire (Cass., 1ère civ., 25 janvier 2017, n° 15-25210).

C’est dans ce contexte que le tribunal judiciaire d’Angers a rendu un jugement intéressant le 1er décembre 2020 (tribunal judiciaire d’Angers, 1ère chambre, 1er décembre 2020, affaire Kamal S… c/ société THELEM ASSURANCES, n° 18-03154).

Le plaignant s’était vu opposer une déchéance de garantie par son assureur dommages, à la suite de la régularisation d’une déclaration de sinistre consécutif à l’incendie de son véhicule.

A la suite de cette déclaration de sinistre, l’assureur avait mandaté un inspecteur qui avait engagé une enquête, le conduisant à interroger les témoins et à solliciter la remise des clés du véhicule, afin qu’elles soient expertisées en laboratoire, pointant ensuite des incohérences entre les déclarations de l’assuré sur les déplacements du véhicule précédent le sinistre, les kilométrages parcourus et son usage.

Pour sa part, le requérant contestait tout motif de non garantie et à titre principal entendait contester les conditions dans lesquelles l’assureur avait mené son enquête, étant précisé que la société THELEM ASSURANCES, interrogée à plusieurs reprises, y compris par le conseil de son assuré, avait toujours refusé de justifier de ses démarches et notamment du rapport d’analyse des clés, estimant qu’il s’agissait de documents privés à l’assureur qui se suffisaient à eux-mêmes pour opposer une déchéance de garantie …

Dans le cadre de son assignation en justice, le requérant avait non seulement plaidé sa bonne foi, mais également invoquée la violation du règlement (UE) 2016-679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et les dispositions de l’article 1240 du Code civil, afin de solliciter la condamnation de l’assureur à l’indemniser de son préjudice moral notamment.

Dans son jugement en date du 1er décembre 2020, le tribunal judiciaire d’Angers a fait droit à cette demande, au motif que les clés du véhicule contenant des informations concernant son utilisation et le kilométrage parcouru, en ce qu’elles se rapportent à une personne physique identifiable qui est le propriétaire ou le conducteur du véhicule, répond à la définition de données au sens du règlement (UE) 2016-679, étant de surcroît précisé, indique le tribunal, que « la collecte de ces données par un procédé d’enregistrement automatisé dans la mémoire électronique de la clé, avec pour finalité d’être ultérieurement par une extraction et une consultation exploitées dans un but de mise à disposition, répond à la définition de traitement ».

Il en résulte donc que : « pour être conforme au règlement (UE) 2016-679, ces données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée ».

Or en l’espèce, le tribunal a considéré que l’assureur avait gravement manqué à son devoir d’information, l’assuré n’ayant pas reçu communication des informations nécessaires à garantir un traitement équitable et transparent comme la possibilité d’accéder à ces données, de connaître leur durée de conservation, de demander leur rectification ou leur effacement et d’introduire une réclamation ».

En conclusion, le tribunal devait indiquer que : « il est évident que ces différents manquements à l’information, sur la manière dont ces données ont été traitées et leur finalité, constituent une violation du droit au traitement licite, loyal et transparent des données à caractère personnel de Monsieur S… auquel il pouvait prétendre. Elles lui ont nécessairement causé un préjudice moral en ce qu’elles ont porté atteinte à ses droits reconnus et protégés par le règlement (UE) 2016-679 ».

Encore, le tribunal devait relever que les méthodes employées par la société THELEM ASSURANCES pour confronter son assuré à ses propres déclarations ne s’étaient pas réalisées dans le respect des principes de loyauté et du contradictoire dans la charge de la preuve, de sorte que « cette administration de la charge de la preuve par la société THELEM ASSURANCES, en contravention des principes élémentaires de procédure et de respect des droits de la défense, constituent une faute. Elle a nécessairement causé un préjudice moral à Monsieur S…, d’une part en ne lui permettant pas d’exercer ses droits et d’autre part en mettant en doute sa probité sans qu’il puisse s’en justifier ».

Cette décision, qui est définitive, constitue à n’en pas douter un rappel à l’ordre salutaire au regard de certaines pratiques qui ne sont résolument pas acceptables.

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